Bouillon de culture sous squat

Marginaux et parfois hors-la-loi par choix, ils ne sont pas pour autant coupés du monde. Du resto végétalien au concert rock, les squatters ont des projets

Le 23 octobre 2000, quelques jeunes au look « rétro-punk-piercé » poussaient la porte du n°111, une maison centenaire abandonnée, le long d’une grand-route à Louvain-la-Neuve. Ils décident de vivre dans cette bâtisse sans confort, avec une volonté d’autonomie, mais surtout avec des ambitions culturelles. « Ici, en tant qu’exclus ou minimexés, on trouve tout ce que la société ne peut plus nous offrir, explique Simon, domicilié au « Cent Onze » depuis un an. Le refus de participer à une société de surconsommation individualiste est le point commun de tous ceux qui nous rejoignent. Certains bénéficient du chômage, pas tous. Comment et pourquoi payer un loyer, exorbitant en Wallonie, alors que tant de logements sont vides et tombent en ruine ? » C’est pour cette raison qu’ils s’octroient le droit de squatter. Au nom du « droit à un logement décent » et du « droit à l’épanouissement culturel et social » inscrits dans la Constitution. « On ne demande pas grand-chose. Juste de pouvoir occuper une maison abandonnée depuis trop longtemps, la retaper avec les moyens du bord et y développer un mode d’existence qui nous convient », continue Simon.

Le cas n’est pas isolé. On le rencontre partout, de Bruxelles à Louvain, en passant par Tubize, Gand ou Anvers. A Liège, les squatters de la rue Jonruelle ont fini par trouver un accord avec la propriétaire, résidant en Italie. « Quand on a décidé d’occuper la maison, raconte Nath, cela faisait déjà dix ans qu’elle était abandonnée et servait d’accès aux voleurs qui passaient par les jardins pour cambrioler dans le quartier. Des habitants nous ont dénoncés mais, après quelques explications et tracts distribués dans les boîtes aux lettres du quartier, ils ont compris qu’on désirait uniquement un endroit où loger. » Le squat s’est constitué en ASBL et a obtenu le rachat de la maison. « Ce n’était pas une fin en soi, précise Nath. On avait proposé un bail à titre précaire à la propriétaire, finalement elle nous l’a vendue. »

C’est de ce même type de bail dont bénéficient des Ixellois. Installés rue des Drapiers, ils paient un loyer symbolique au propriétaire, en attendant leur expulsion, inévitable suite à un projet immobilier visant l’îlot. Cours de salsa et d’espagnol, débats politiques et tables d’hôte sont proposés au public bruxellois.

A Liège aussi, des activités socioculturelles sont mises sur pied. « On axe notre démarche sur l’accueil de groupes musicaux, de voyageurs-squatters. On dit non aux drogues dures et aux fachos, à part ça, chacun est le bienvenu s’il s’investit dans la maison. On organise des tables d’hôte, ce qui nous permet d’avoir de bons contacts avec le quartier, de faire découvrir des recettes végétaliennes du monde entier », explique Nath.

Mêmes initiatives culturelles à Louvain-la-Neuve. Le Cent Onze organise, chaque semaine, des projections de films-reportages, des conférences et des débats. Conseils juridiques, propositions de soutien, d’aide matérielle ou simplement discussions sur des thèmes variés réunissent squatters, maisons de jeunes, associations pour le droit au logement. La musique tient aussi une grande place dans les projets. « On doit terminer d’insonoriser une pièce qui servira de salle de concert ou de théâtre, explique Simon. Certains groupes musicaux véhiculent des idées auxquelles nous adhérons. On les accueille chez nous et nous chez eux, poursuit-il. Même son de cloche à Liège: grâce à ces concerts, les squatters se retrouvent et un véritable réseau européen de solidarité se constitue.

Comme beaucoup d’autres squats, le Cent Onze organise un resto populaire, ouvert à tous, où la cuisine végétarienne est mise à l’honneur. Mais pas question de faire ses courses comme tout le monde. La plupart des aliments sont des surplus venant des marchés ou supermarchés, invendables mais consommables. « On a créé, pour l’occasion, le « front révolutionnaire des cuistots » qui est ouvertement engagé contre la malbouffe. On demande une participation démocratique (7,62 euros – 50 francs) pour, notamment, financer les travaux. Le dernier projet était la construction d’un bar et l’aménagement d’un potager. « Pour les matériaux, on s’arrange avec les entreprises du zoning, on récupère ce qu’ils jettent. Dans le cadre de toute activité, on mise sur l’écologie, le recyclage des déchets, du compost. On a mis en place un récupérateur des eaux de pluie, des toilettes sèches », explique Simon.

Politisés, les squatters ? Chacun a le droit de prendre les engagements qu’il veut, mais pas au nom du groupe, précisent-ils. Quelques-uns soutiennent des petites organisations indépendantes, comme le Collectif sans tickets ou le Collectif sans nom, mais pas un parti ou une association politique, même si certains squats, plutôt « universitaires révoltés », ont parfois tendance à politiser leur action. « Le plus important, souligne Simon, c’est que la population comprenne ce qui se passe. On ne fera pas changer les gouvernements mais on veut briser les préjugés, montrer que la marginalité est aussi un choix. Le squat n’est pas un endroit qui s’écroule, gardé par des chiens féroces. C’est un espace ouvert, d’échanges multiculturels où les enfants et les plus grands sont les bienvenus. » Ils ne font pas pour autant de publicité et se méfient souvent des journalistes. « Même si des articles ou des courts-métrages sont utiles pour franchir la barrière des préjugés, il reste toujours le problème du non-respect et de l’interprétation erronée », raconte Nath, qui a assisté, très soupçonneuse au départ, au tournage de Punk pic-nic, un documentaire réalisé par Sandrine Dryvers, en 1998, sur le quotidien d’un squat. Il n’en reste pas moins que l’esprit d’ouverture des squatters est parfois très sélective. La notion d’accueil n’est manifestement pas la même partout…

Anne-Sophie Levecq

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