Bois Sauvage dans l’oil du cyclone

L’arrestation de Vincent Doumier, patron de la Compagnie du Bois Sauvage, inculpé de délit d’initié dans le dossier Fortis, place ce holding, tout aussi discret que puissant, sous les feux des projecteurs. Le Vif/L’Express lève le voile sur une des plus belles pépites de la cote bruxelloise.

Signalons-le d’emblée : dans la jungle de la finance, Bois Sauvage est évidemment tout sauf un nom prédestiné. Le holding doit en effet son appellation au lieu-dit où ses bureaux sont situés, déformation du patronyme néerlandais  » Wilde Wouter « , entre la cathédrale Saints- Michel-et-Gudule et la première enceinte de la Ville de Bruxelles…

Dans un holding, ce n’est pas tant le nom de l’entreprise qui compte mais bien les hommes et les femmes qui président à sa destinée, les participations détenues et la manière de les faire fructifier au fil du temps. Au niveau de son conseil d’administration déjà, Bois Sauvage est sans aucun doute un des plus riches en personnalités variées du monde économique et financier du pays. Outre Guy Paquot, le président, figure emblématique du groupe et son véritable bâtisseur, on y retrouve ainsi – en plus de Vincent Doumier (administrateur délégué) – une brochette de grandes figures du monde patronal belge (et anciens présidents de la FEB) aux carnets d’adresses bien pourvus, tels Jean-Claude Daoust (Daoust Interim), Karel Boone (Lotus), Luc Vansteenkiste (Recticel) ou Luc Willame (ex-Glaverbel).

Côté participations, Bois Sauvage n’a jamais eu pour vocation de se comporter comme une  » grosse Sicav  » et de se complaire à simplement détenir et/ou accumuler des participations dans des sociétés cotées. Son vrai core business, c’est plutôt le private equity, soit la prise de participation et l’accompagnement dans la croissance de sociétés non cotées, des PME comme des grosses entreprises. Sur ce point, Bois Sauvage est, en Belgique, une des signatures les plus prestigieuses, tout en n’hésitant pas parfois à sortir des frontières nationales pour s’intéresser à l’une ou l’autre pépite étrangère. Parmi les nombreuses petites de Bois Sauvage, citons d’emblée les chocolats Neuhaus qu’elle détient à 100 %. Citons aussi le groupe Ceran (cours de langues) à Spa, dont elle détient plus d’un tiers du capital. Autre fleuron parmi ses actifs, cependant cédé voici peu, la maison de bouche française Fauchon (36 %). On en reste là ? Nullement ! Bois Sauvage détient aussi 16,29 % de banque Degroof, 28,65 % de Recticel, 28,65 % de Noël Group (maison mère de Nomacorc, producteur de bouchons synthétiques), 5 % de Ter Beke, plus de 20 % du promoteur immobilier Codic et un peu moins de 5 % du capital de Cofinimmo. Bois Sauvage est aussi présente, mais plus marginalement, dans des sociétés telles que Guy Degrenne (art de la table), XDC (spin-off d’EVS, cornaquée par Laurent Minguet et active à grande échelle dans la numérisation des projections dans les salles de cinéma) ou Nanocyl…

Le  » cas  » Fortis

D’aucuns se demanderaient pourquoi la Compagnie Bois Sauvage et son administrateur délégué ( NDLR, l’une comme l’autre ont été inculpés par le juge Claisse, et Vincent Doumier est en détention préventive depuis la fin de la semaine dernière) ont aujourd’hui tant d’ennuis à cause de Fortis. Pour bien comprendre la situation, il faut d’abord savoir que les actifs de Bois Sauvage se répartissent en trois grands axes : l’immobilier (dont Cofinimmo et Codic), le  » stratégique  » (avec Neuhaus, Ceran …) et la  » trésorerie au sens large du terme « .

Considérées comme le  » placement du bon père de famille  » par excellence, les 5 millions d’actions Fortis détenues par la Compagnie du Bois Sauvage faisaient donc partie de sa  » trésorerie au sens large « , un matelas de sécurité au rendement régulier, facilement mobilisable – même si ce n’était pas là le but – pour saisir, le cas échéant, une belle opportunité de placement.

Si un tel paquet d’actions Fortis représentait effectivement des  » cacahouètes  » au regard de sa capitalisation boursière du 5e groupe financier européen, pour Bois Sauvage, par contre, il en allait tout autrement. La déglingue de Fortis a d’ailleurs fait sortir à quelques reprises Vincent Doumier du bois. Ses commentaires sur la  » stratégie  » de l’équipe dirigeante de Fortis étaient, à l’époque, particulièrement acerbes. Il fut d’ailleurs un des seuls à s’être exprimé publiquement pour dire haut et fort ce que d’aucuns pensaient tout bas…

Depuis des mois, la justice s’intéresse particulièrement à cette  » coïncidence heureuse  » qui a valu à Bois Sauvage de vendre opportunément 3,6 millions d’actions Fortis à un cours de 5 euros, un chouia avant l’annonce du démantèlement du groupe. Sachant qu’une fois le démembrement annoncé le cours de Fortis a même fini par tomber sous la barre de l’euro symbolique, cette  » coïncidence heureuse  » qui a permis à Bois Sauvage de  » limiter la casse  » a de quoi semer le doute. Il faut en effet avoir à l’esprit que la Compagnie du Bois Sauvage a enregistré, dans ses comptes 2008, environ 125 millions d’euros de pertes sur ses actifs de trésorerie !

Le juge Claisse et son équipe cherchent donc à savoir si Vincent Doumier et, à travers lui, la Compagnie du Bois Sauvage, a effectivement eu vent d’informations privilégiées de nature à provoquer la décision de se défaire d’autant d’actions Fortis et, si oui, par quel biais. Et si tel est vraiment le cas, le délit d’initié serait alors objectivé.

JEAN-MARC DAMRYk

125 millions d’euros de pertes sur ses actifs de trésorerie !

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