Body language

La question de la représentation du corps est récurrente dans l’histoire de l’art : les artistes n’ont cessé de la creuser. Ceux de la seconde moitié du XXe siècle n’ont fait qu’accentuer ce mouvement. La preuve en deux expositions qui osent, cet été, la vivante thématique.

Cet été, deux expositions situées de part et d’autre de la frontière franco-belge – l’une à Dunkerque, l’autre au Grand-Hornu – abordent le corps sous toutes ses formes. Indépendantes et dissemblables (seuls deux artistes y figurent en commun : Yves Klein et John Coplans), elles sont cependant complémentaires, tant par les thématiques choisies que par les périodes concernées, le dernier tiers du XXe siècle pour celle du LAAC et le XXIe pour celle du MAC’s, avec quelques exceptions notables.

Every Body

L’exposition Every Body, à Dunkerque, explore la représentation du corps à travers quatre thématiques plutôt spéculatives, tout en s’inscrivant dans l’actualité la plus immédiate. Ainsi l’installation de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo, Road to Exile, dans l’atrium du musée : une barque flottant sur une vague de bouteilles vides et débordant de baluchons multicolores, ultimes traces laissées par ses occupants. L’absence de l’être humain, parfois réduit à la coquille vide d’un costume, à celle d’une silhouette indéfinissable ou à l’empreinte d’un torse, constitue une façon distanciée de traiter de l’identité et apparaît comme un des fils rouges du parcours.

Celui-ci s’appuie en partie sur des oeuvres puisées dans les collections du LAAC et possède l’avantage de ne pas être formaté et de brasser large, au détriment peut-être de sa lisibilité, tout en provoquant des rencontres visuelles audacieuses. Ainsi les fragments de corps vieillis du photographe Coplans et ceux distordus de Bacon, les sculptures désincarnées de Wurm et les vases anthropomorphiques de Pascal Convert, la peinture puissante de Rebeyrolle associée à la sculpture en matériaux synthétiques de Gilles Barbier, la présence comme toujours allusive de Stanley Brouwn dans la salle aux autoportraits démultipliés et inexpressifs de Maurizio Cattelan. Ailleurs, l’enfant au tambourin de ce dernier fait résonner bruyamment son instrument à intervalles réguliers, brisant le silence feutré des lieux où l’on croise aussi des oeuvres de Dubuffet, César ou Olivier Debré. L’ensemble témoigne d’une recherche hors des sentiers battus et révèle donc son lot de découvertes. On les appréhende au détour de concepts tels que l’altérité et l’effet miroir, la posture et le défi à la pesanteur, l’origine et le rapport à la nature, la trace et la question de la mesure. Toutes ces notions sont développées dans un livret qui démontre combien le corps constitue toujours un terrain de recherches et de réflexions inépuisables pour les artistes, toutes générations confondues.

My Body is a Cage

A des degrés divers, on retrouve une part de ces concepts dans l’exposition présentée par le MAC’s (le Musée des arts contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles) qui a invité son homologue et presque homonyme marseillais, le [mac], à présenter une partie de ses collections, autour de cette même thématique corporelle.

La visite s’ouvre intelligemment sur un artiste américain que l’on n’a plus guère l’occasion de voir, le sculpteur George Segal, un peu abusivement assimilé au pop art à l’époque, alors qu’il s’en diffère sous de nombreux aspects. Ses moulages de plâtre restent saisissants de véracité, ancrés dans une époque et une technique balayées ensuite par l’hyperréalisme. Quatre grands chapitres viennent rythmer le parcours – l’anatomie, le masque, la danse et la posture – dans une mise en espace dont la précision semble aller de soi, pour culminer, avec la section  » danse « , à la scénographie élaborée.

Au travers des oeuvres de Penone (paupières), Coplans (pieds), Yves Klein et César (torses), ce sont des fragments du corps qui sont auscultés en détail dans la section  » anatomie « , alors que celle du  » masque  » traite du détournement du visage, essentiellement sous la forme de séquences autobiographiques. Elles sont vidéographiques dans le cas d’Absalon, picturales et saturées avec Ed Paschke, photographiques dans les ensembles conséquents dévolus à Dieter Appelt et Günter Brus qui n’hésitent pas à mettre leur visage à mal pour en déceler ou en dissimuler toutes les expressions. La  » posture « , quant à elle, se décline tant au propre qu’au figuré au travers des sculptures énigmatiques de Lionel Scoccimaro (Faire l’autruche serait une attitude répandue) ou de Wendy Jacobs et des installations tout aussi intrigantes de Tony Oursler et Jimmie Durham. Avec leur représentation distanciée du corps, ils s’interrogent sur la nature de celui-ci qu’ils mettent littéralement en scène.

C’est également de mise en scène qu’il est question dans la section intitulée  » danse  » qui, elle, aborde le thème du mouvement et plus particulièrement la façon dont celui-ci peut être bridé. Qu’il s’agisse des limites de l’atelier (Bruce Nauman), de celles d’une prothèse sculpturale menant à une performance (Jana Sterbak), de celles d’un bassin aquatique (Michèle Sylvander), de mouvements rotatifs (Carsten Höller) ou encore de dispositifs de transmission (Francesco Finizio). Cette section – la plus spectaculaire – pousse les limites de la représentation anatomique aux frontières des nouvelles technologies et de leur diffusion, dans de véritables ballets où le corps finit par s’estomper au profit de silhouettes projetées.

Visiter conjointement ces deux expositions constitue également une expérience muséographique des plus intéressante, car si, avec évidence, l’architecture des musées correspond à la conception que l’on s’en fait au moment de leur construction, elle influe aussi sur la manière de présenter les expositions, de montrer les oeuvres et d’accompagner le public. La petite trentaine d’années qui séparent la construction du LAAC de Dunkerque (fin des années 1970) et celle du MAC’s (début des années 2000) démontre de façon flagrante combien les conceptions muséographiques ont pu changer en peu de temps, tout en étant chacun partie prenante du vaste champ de l’art contemporain.

Every Body, au LAAC, à Dunkerque, jusqu’au 18 septembre. www.musees-dunkerque.eu

My Body is a Cage, au MAC’s, au Grand-Hornu, jusqu’au 25 septembre. www.mac-s.be

PAR BERNARD MARCELIS

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