BOCCONI, LE LABO À IDÉES DU DOTTORE RENZI

Synonyme d’excellence, l’université privée milanaise produit depuis de nombreuses années les meilleurs cerveaux économiques. Ils sont aujourd’hui auprès du chef du gouvernement italien pour réformer le pays.

Marco parle fort, agite ses mains à l’italienne et tire nerveusement sur son cigarillo. Ce vendredi ensoleillé du mois de mars, à la fin de leur journée de cours, les étudiants sont nombreux à s’attarder devant l’entrée de l’université. Ils spéculent sur les sujets des prochains examens, échangent quelques blagues à propos d’un enseignant et parlent… business. Ainsi, Marco, 23 ans, tente de convaincre son futur associé, un grand blond à l’allure sage, de l’intérêt de l’externalisation de la logistique pour le transport de marchandises. Plus loin, une jeune fille brune aux longs cheveux lisses, sac Vuitton sur l’épaule, consulte son iPhone.

Elle explique qu’après son master en marketing et management, elle intégrera l’entreprise de ses parents dans la perspective de prendre la relève. Lunettes Ray-Ban et chemise blanche, Carlo, lui, espère rejoindre un cabinet d’audit ou une multinationale à l’étranger, une fois son diplôme en poche.

Un contrat en trois mois maximum

Benvenuti à la Bocconi ! Cette université privée située au coeur de Milan, la fabrique de l’élite italienne, irrigue toute l’économie de la péninsule et accueille pas moins de 14 000 étudiants par an. Via Sarfatti, les enfants de people comme ceux de la bourgeoisie se forment aux lois de l’économie et du business, mais aussi, depuis quelques années, aux affaires publiques ou au management culturel. La Bocconi constitue le passage obligé pour démarrer une carrière en trombe : les lauréats ne mettent pas plus de trois mois à signer un contrat d’embauche. Trois ans plus tard, leur salaire s’envole de 116 % pour s’établir en moyenne à 123 000 euros par an.

Mais la Bocconi n’est pas qu’une business school. Elle est aussi l’un des centres intellectuels du pays, doté d’éminents professeurs en économie qui signent dans les plus prestigieuses revues internationales et paraphent des éditos dans les grands quotidiens. Enfin et surtout, la Bocconi a récemment déployé son influence jusqu’au Palazzo Chigi, à Rome. En février 2014, à peine installé, Matteo Renzi appelle les bocconiani à la rescousse. Mission : relancer l’économie du pays. Le coup de fouet du Jobs Act, cette réforme du code du travail qui aurait engendré plusieurs centaines de milliers d’emplois, a braqué les projecteurs sur la Bocconi. En janvier 2016, Tommaso Nannicini, l’un des inspirateurs de la loi, est nommé sous-secrétaire à la présidence du Conseil. Il dirige une équipe d’une dizaine d’experts, censés achever les transformations et remettre l’Italie sur les rails.

Créée au début du XXe siècle par l’homme d’affaires Ferdinando Bocconi, en hommage à son fils tué en Ethiopie, l’université a progressivement étendu son territoire au point d’occuper aujourd’hui plusieurs pâtés de maison au coeur de Milan, où elle possède des logements étudiants, des infrastructures sportives, mais aussi une chaîne de télévision et sa propre radio, qui émet vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! Première, en Italie, à avoir délivré un diplôme d’économie et à sélectionner ses étudiants, elle entretient son hégémonie sur l’enseignement de la gestion et de la finance en triant sur le volet ses professeurs – parmi lesquels les économistes Paul Krugman ou le Prix Nobel Michael Spence -, n’hésitant pas à débaucher des pointures aux Etats-Unis moyennant des salaires de 300 000 euros par an.  » Mamma Bocconi  » a fourni à l’Italie pléthore de PDG, dont ceux de Pirelli, Mediobanca, ENI ou UniCredit.

Une image de rigueur qui sied à l’institution.  » Nos étudiants comme nos professeurs sont tous soumis à un code d’honneur très strict « , martèle l’actuel recteur, Andrea Sironi.  » Ici, nous n’appliquons qu’un seul principe : la méritocratie « , poursuit-il, en taclant au passage les universités américaines  » où les fils de PDG ou d’éminents professeurs décrochent parfois leur inscription sur la base de leur patronyme « . A rebours des clichés sur l’Italie, la Bocconi cultive et revendique une  » grande exigence « . Quitte à la pousser parfois un peu loin, comme avec ce système d’évaluation très sophistiqué des enseignants et des personnalités extérieures de la part des étudiants.  » Ceux-ci doivent nous noter à l’issue de chaque semestre. Sans cela, ils perdent leur accès à l’intranet et sont pénalisés « , explique Valentina Mele, professeur de management public. Les mauvaises appréciations récoltées par cette enseignante au sujet de son accent italien trop prononcé en anglais l’ont amenée à prendre des cours pour s’améliorer.

 » On avait carte blanche  »

Esprit de compétition et quête d’excellence valent à Bocconi une image certes prestigieuse, mais un brin arrogante.  » C’est l’école des puissants et de la haute bourgeoisie milanaise « , raille un professeur de la Luiss, université d’économie réputée, à Rome.  » La Bocconi, c’est l’Italie qui marche « , rétorque Andrea Goldstein, avocat et responsable jusqu’à récemment de l’association des anciens élèves à Paris. Le réseau des alumni, cette toile d’anciens tissée depuis des décennies, avec un esprit de corps aussi prégnant que celui de l’Ecole nationale d’administration (ENA) en France, permet aux bocconiani de se faire la courte échelle dans les conseils d’administration.

Est-ce cela qui a incité Matteo Renzi à solliciter les services des bocconiani ?  » Lorsqu’il arrive au pouvoir, le maire de Florence n’a qu’une expérience locale, aucun réseau national et encore moins à l’international « , analyse Stefano Feltri, vice-président du journal Fatto Quotidiano. Au-delà du symbole, s’entourer des économistes de la Bocconi confère au nouveau président du Conseil un accès direct à l’élite, celle qui parle anglais, qui s’exporte à l’étranger et qui fait du business. Pragmatique, Renzi s’offre ainsi les meilleurs cerveaux de la place, susceptibles d’assurer la relance espérée par tous les Italiens. Enfin, abriter ces spécialistes au Palazzo Chigi lui permet de doubler les hauts fonctionnaires des ministères. Car Renzi est pressé. Il a promis de réaliser les réformes en cent jours à raison d’une par mois (avant de se raviser et de s’accorder une période de mille jours). Avec les bocconiani, Renzi met le pied à fond sur l’accélérateur. Cette  » team « , espère-t-il, lui permettra, aussi, de court-circuiter l’éminent Carlo Padoan, imposé par Giorgio Napolitano, président de la République, au poste de ministre de l’Economie et des Finances.

Seul mot d’ordre : flexibilité

Dès le mois de mars 2014, dans les carrés VIP du Frecciarossa, le TGV italien qui relie Milan à Rome, les experts de la Bocconi planchent sur la fiscalité, les dépenses publiques et le marché du travail.  » On avait carte blanche. C’était très stimulant « , rapporte Maurizio Del Conte, l’un des participants, nommé, depuis, à la tête de l’Anpal, la nouvelle agence de recherche d’emploi créée par le Jobs Act.  » Seul mot d’ordre donné par Renzi : flexibilité « , rapporte-t-il. Deux ans plus tard, les règles du CDI sont métamorphosées, la durée des CDD est passée de douze à trente-six mois et l’article 18 qui permettait aux salariés licenciés de se faire réintégrer est supprimé. L’effet d’aubaine créé par ces mesures, couplé à une baisse des charges pour les entreprises, durera-t-il ? Selon le gouvernement, le Jobs Act aurait permis de réduire le taux de chômage de près de 2 points.

Galvanisé par les résultats enregistrés par ses conseillers de l’ombre, Renzi a décidé de renforcer leur assise. Professeur et diplômé de l’université milanaise, Tommaso Nannicini aligne un CV de six pages. Ce fils d’un ancien député maire vient d’abandonner son travail de recherche et ses responsabilités à la Bocconi depuis qu’il est sous-secrétaire à la présidence du Conseil. Il n’est pas le seul. Tito Boeri, économiste au pedigree similaire, est désormais à la tête de l’INPS, la Sécurité sociale italienne.  » Nous sommes fiers de pouvoir contribuer à aider le pays « , commente Andrea Sironi, citant l’exemple de Diego Piacentini, n° 2 du groupe Amazon, qui, dès juin prochain,  » rejoindra le Palazzo Chigi pour aider Renzi « à digitaliser l’Italie »… une mission quasi impossible « .

Jusqu’à ce jour, hormis Mario Monti, président du Conseil de 2011 à 2013, peu d’universitaires s’étaient risqués à sortir de l’expertise pour se frotter à la réalité de la politique… à l’italienne. L’aventure tombe à point nommé. Depuis peu, Bocconi développe des cursus orientés vers la science politique et les affaires publiques. De quoi accueillir demain les souvenirs des éminents économistes lorsqu’ils seront revenus au bercail !

PAR LIBIE COUSTEAU. PHOTOS : ALBERTO BERNASCONI

Etudiants et professeurs sont soumis à un code d’honneur très strict

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