Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Uniforme boogie chez Fred & The Healers, et primitivisme enchanteur chez Marc Lelangue, qui remporte le trophée blues du printemps

Disons-le d’emblée: ni Fred & The Healers, ni Marc Lelangue ne remettent en question le blues tel qu’il sévit depuis l’avant-guerre. Aucun des deux n’a le culot des Anglais de Gomez, qui pulvérisent les vieilles canailleries dans un bain de sequencers européens. Ni les Healers ni Lelangue n’ont la puissance urbaine de Boss Hog ou du Jon Spencer Blues Explosion, qui reliftent le Mississippi dans un survoltage d’électricité new-yorkaise.

Pourtant, une différence fondamentale oppose les disques de nos oiseaux belges: Lelangue convoque un mystère que les Healers ne possèdent pas. Là où ces derniers « assurent », Lelangue jette une graine de vaudou (belge?) dans sa marmite graisseuse. Pour son troisième album depuis First (paru en 1997), le quatuor Fred & Co taille donc sa route autour de la réputation de « prodige » du guitariste Frédéric Lani. Sur Electerrified, les quatorze titres marient un blues-rock conventionnel garni de galopades de six cordes, même si les travers de « guitar-hero » sont en récession. C’est d’ailleurs sur cette médiatisation-là que s’est faite la réputation du groupe: on ne niera pas l’habileté de l’instrumentiste (cf.les cascades de The Wrong Side), mais on ne peut s’empêcher de trouver l’ensemble trop conformiste. Du boogie d’ouverture Stayin’Out (très Status Quo) au Parking Rider en fin de disque, Fred & The Healers exécutent leur affaire avec un savoir-faire évident, mais manquent d’audace, de rugosité, d’épaisseur vécue. Il suffit d’écouter la seule plage qui n’est pas signée d’eux ( Sacred Ground, de Sonny Landreth) pour mesurer le manque d’ambition de leurs propres compositions. Certes, on peut trouver ce dernier argument fallacieux dans la mesure où le blues survit depuis trois-quarts de siècle davantage par la perpétuation d’une tradition que par le renouvellement de son style. Mais c’est oublier un peu vite que le blues réel a toujours une dimension autobiographique, faite de souffrance et de plaisir, de boue et de miel.

Quand Lelangue fait les poussières

Six ans après Glandeur nature – album sous-estimé -, la voix de Lelangue s’est encore un peu plus fendue, donnant à son larynx des airs de chroniqueur intoxiqué aux petits malheurs. La couleur de ses vocalises, en soi émouvante, plonge souvent dans cette maladie inévitable du blues qu’est la mélancolie. Plusieurs plages de Greenville frottent d’ailleurs la poussière des années de la grande Dépression et déclenchent des impressions qu’on croyait effacées ou simplement dépassées: le bonheur d’un vieux jazz Nouvelle-Orléans ( Send My Body to Bourbon Street), la crispation d’un harmonica qui se fait marcher sur la queue ( That Someone Else), la dernière lumière avant le tirer de rideau ( Tiwanaku Station). Le producteur Kevin Mulligan, authentique US boy vivant en Belgique, a vraiment réussi son travail d’épure: Greenville et ses respirations, ses vagues à l’âme acoustiques, possèdent une élégance qui n’a rien à envier aux productions lumineuses de Daniel Lanois! Même si Lelangue brouille un peu les pistes en début de disque en commençant par un classique de Randy Newman ( Short People), il nous entraîne dans un voyage qui nous ferait presque croire aux rêves de l’Amérique. Quitte à ce que ce mythe – en net déclin – soit aujourd’hui froissé jusqu’au chagrin. Lelangue a compris que le blues n’a rien de rétro ou de fané tant qu’il s’enveloppe dans la sincérité et les veines ouvertes de l’émotion. Tout cela resterait évidemment théorique s’il n’y avait mis autant de talent. Un très beau disque.

Fred & The Healers: CD Electerrified, chez Universal, concerts à l’Eden de Charleroi le 7 avril, au festival de Neufchâteau le 15 avril, à Bomal le 27 avril, etc. (infos au 068-57 01 53). Marc Lelangue, CD Greenville, chez Sowarex.

Philippe Cornet

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