Birmanie Un scrutin, et après ?

Les candidats de la junte semblent assurés de remporter les législatives du 7 novembre. La population y est résignée. Mais que fera, ensuite, l’opposition ?

DE NOTRE envoyé spécial

Dans le centre de la Birmanie, le Bouddha couché déroule ses 6 mètres de marbre blanc sur la pente d’une carrière, à une trentaine de kilomètres au nord de Mandalay. Sculpté in situ, arrimé dans une cage de bois, il attend que des ouvriers le chargent sur un camion à destination de la Chine.  » Mon client attend, mais la route vers la frontière est fermée depuis plusieurs semaines, explique le patron de l’entreprise locale. C’est à cause des élections.  » Ailleurs, des filous qui avaient investi dans le juteux trafic de voitures d’occasion – 30 000 dollars pour une Toyota vieille de dix ans – se plaignent de la chute des prix :  » La faute aux électionsà « 

Si les Birmans évoquent dans leurs conversations les élections du 7 novembre, c’est le plus souvent pour dénoncer leurs effets néfastes – réels ou imaginés – sur leur vie quotidienne. Les rares débats politiques qui agitent la classe moyenne émergente se terminent toujours par un constat résigné :  » Tout le monde sait que les partis favorables à la junte l’emporteront « , résume une éditrice de Rangoon.  » Une grande partie de la population ne songe qu’à assurer les moyens de sa survie, ajoute la responsable d’une ONG chargée de programmes de développement. Dans la plaine centrale, la situation économique est désastreuse, la malnutrition et l’endettement empirent. Alors, les électionsà « 

Les plus optimistes tablent sur la législature suivante, dans cinq ans, pour espérer une évolution significative :  » 2010 est seulement une étape. Nous n’avons pas d’autre choix que d’évoluer pas à pas, car le temps de la révolution est terminé « , estime le Dr Nyat Nyana Soe, un dentiste devenu secrétaire général pour Rangoon de la Force nationale démo-cratique (NDF), parti créé notamment par des anciens de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), l’ex-parti d’Aung San Suu Kyi.

Quelle liberté de parole pour Aung San Suu Kyi ?

Le Parti de l’union, de la solidarité et du développement (USDP), le rouleau compresseur électoral créé par la junte, cimente tranquillement sa victoire. Ses équipes quadrillent le pays, promettent la construction de routes, de cliniques et d’écoles. Face à cette formation, les partis dits  » démocrates  » doivent se battre chaque jour contre les multiples tracasseries administratives mises en £uvre par la commission électorale.

Une majorité de Birmans vit à l’écart des grandes villes. Pour eux, la liberté électorale n’existe que sur le papier. Aung Myin, ouvrier agricole de 27 ans, a quitté son village pour s’installer avec sa famille dans une hutte le long d’une rizière de la plaine centrale :  » Le scrutin ne m’intéresse pas, dit-il. Mais si je ne donne pas mon suffrage à un parti progouvernemental, je risque d’être repéré par les autorités et d’avoir des ennuis. Je retournerai donc dans mon village pour voter. « 

Reste Aung San Suu Kyi. Son assignation à résidence doit en principe être levée quelques jours après les élections. Selon l’un de ses proches, son  » moral et sa santé sont au plus haut « . Mais le Prix Nobel de la paix n’a rien laissé filtrer sur ses intentions futures. Suivra-t-elle la ligne politique ferme des vieux chefs de l’ex-NLD ? Ou décidera-t-elle d’utiliser sa popularité et son nom pour contribuer à la mise en place de programmes humanitaire, éducatif et sanitaire dont la population a grand besoin ? Le mystère plane aussi sur les intentions de la junte. Jusqu’où les généraux lui laisseront-ils sa liberté de parole et d’action ? Les lendemains d’élections risquent de soulever davantage de questions que de réponses.

THIERRY FALISE

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