BILLET

Je déteste parler d’un procès que je n’ai pas suivi, sinon de bout en bout, au moins pour parties, comme l’instruction d’audience. Mais on rend la vie des chroniqueurs judiciaires de plus en plus difficile. Sauf à dresser un lit de camp dans les couloirs du palais de justice, comment rapporter le procès dit du Rwanda (en réalité de quatre accusés), comment tenter de faire le point sur tel ou tel aspect des débats sans craindre d’être dépassé ou même ridiculisé par ce qui pourrait être dit le lendemain du jour où j’écris ? Ce n’est possible que dans un quotidien.

C’est d’autant plus perturbant que bien d’autres procès viennent en même temps. L’affaire Riga par exemple, aux assises de Nivelles, le procès des Assurances Fédérales, empêché il est vrai par un grave accident de parcours, et beaucoup d’autres encore.

De toute manière, il me semble qu’il ne serait pas pertinent de privilégier de « grands » procès, où la justice met ses manchettes et ses rabats de dentelles, au détriment d’une justice réputée plus ordinaire, moins tonitruante. Le regard que j’essaie de jeter sur des procès est plus commun, au sens où on parle de droit commun et, à mon sens, plus révélateur d’un état de la société. C’est la manière dont on juge et condamne, le cas échéant, un « simple » voleur, une brute comme il y en a malheureusement beaucoup, un faussaire banal, que sais-je encore ? Qui m’en apprend le plus sur ce qui nous concerne tous, sur les réactions de la société à la criminalité et sur l’efficacité supposée de la répression, c’est-à-dire la justification des peines infligées, sans oublier le sort réservé aux victimes ?

Si évidemment graves que soient certaines affaires d’assises comme l’affaire Riga, il est peu probable, Dieu merci ! que nous puissions en être un jour les acteurs ou les victimes, alors qu’on vole, on cambriole, on brutalise tous les jours et partout. Cette sorte de procès vedette de Nivelles appelle pourtant quelques remarques. La salle d’audience est petite, en sorte que 14 places seulement ont été réservées à la presse, et tout naturellement on les a données à des confrères qui suivront assidûment les débats au jour le jour. Il s’ensuit que je n’irai pas à Nivelles, les conditions dans lesquelles vient ce procès n’étant pas compatibles avec mes habitudes qui sont de pousser des portes, de piquer une tête à des audiences qu’à tort ou à raison je crois importantes. La question n’en est pas moins de savoir si ce procès est réellement public, comme il doit l’être ?

C’est particulièrement fâcheux en l’espèce, car la défense soulignera sans doute qu’avec cette affaire, on a envoyé dinguer la sérénité. En termes clairs, qu’on aurait en quelque sorte jugé d’avance l’accusé dans l’opinion publique, dont le jury est nécessairement une émanation.

J’ai mon avis sur la manière dont, au départ, on a pris cette affaire et sur l’erreur, irréparable, qui consista à remettre en liberté l’accusé extraordinairement vite, alors que la gravité des faits, puisqu’il y a mort d’homme, justifiait ou même commandait une détention préventive moins spectaculairement brève. Cette libération précipitée a légitimement déconcerté les gens et stupéfait la plupart des professionnels de la justice. Cette maladresse, imputable sans doute aussi à la défense, qui aurait peut-être été plus avisée d’acquiescer à une détention préventive moins désinvolte, va sans doute peser sur le procès. Mais c’est trop tard, le mal est fait.

La tendance que je déplore ici de privilégier certains procès au détriment d’autres qu’on dit plus petits, comme s’il n’y avait jamais de petits procès pour ceux qui les vivent, est accentuée par une évolution du droit pénal qui a fait l’objet d’un colloque organisé au ministère de la Justice par le jeune barreau de Bruxelles. Que les temps ont changé, depuis qu’on enseignait que la justice pénale consistait à dire qui est coupable de quoi et, le cas échéant, à infliger une peine dont on espère qu’elle préviendra la récidive, l’idée d’une dette qu’on devrait payer à la société étant depuis longtemps une vieille lune idiote. Il est de plus en plus flagrant que tout procès réputé important, notamment par le nombre et la qualité des avocats, commence par des questions de procédure. Quoi qu’ait pu faire le prévenu, a-t-on bien le droit de le juger si les règles en matière de poursuites n’ont pas été, scrupuleusement respectées ? C’est ce qu’on appelle, dans le public, avec mépris et parfois indignation « les arcanes de la procédure », entendons des trucs qui permettraient aux prévenus de se défiler. C’est inexact, bien entendu. Nous serions tous prompts à nous scandaliser si l’on bafouait nos droits les plus élémentaires, par exemple celui de ne pas être torturé pour nous extorquer des aveux. Un cas de ce genre rendrait assurément et légitimement les poursuites irrecevables. Mais le droit est chose subtile et l’on y passe vite de ce qui est évidemment scandaleux à ce qui pourrait en offrir l’apparence. Le problème du délai raisonnable des poursuites, très remarquablement développé au colloque par Me Franklin Kuty, est exemplaire. La grande misère de la justice ne permet plus de mettre rapidement des affaires en état d’être jugées mais, d’un autre côté, dire tout simplement que les poursuites sont devenues irrecevables scandalise, comme une prime à d’éventuels coquins. A quelle jonglerie alors le législateur et la jurisprudence ne se livrent-ils pas pour que le procès vienne quand même ! Pas sûr que ce soit là bonne justice.

Philippe Toussaint, rédacteur en chef du Journal des procès.

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