BILLET

Le procès de Franz-Joseph Schmitz, ex-premier avocat général de Liège, s’est provisoirement soldé par sa condamnation à une peine de cinq ans d’emprisonnement, assortie d’un sursis pour la moitié. Il est toujours difficile d’apprécier la mesure d’une peine mais, dans le cas d’espèce, il n’est pas douteux que les infractions, aujourd’hui établies par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, sont gravissimes. Elles sont même déconcertantes, à la limite de l’invraisemblable. C’est sans doute ce qu’il faut d’abord retenir de ce procès. Franz-Joseph Schmitz n’est assurément pas le premier haut magistrat poursuivi en correctionnelle. Mais ou bien il s’agissait d’un crime dit « passionnel », dont nul n’est à l’abri, serait-on tenté de dire, ou bien d’infractions d’ordre financier, certes malhonnêtes, mais dont leurs auteurs pouvaient croire qu’on ne les découvrirait pas. Le cas de M. Schmitz est beaucoup plus extraordinaire. D’abord, parce que les faits ont été commis pendant de nombreuses années, comme tranquillement, et en somme au su et au vu de tout le monde ou presque dans la région germanophone. Et, ensuite, par leur énormité ! C’est ce qui est de nature à s’interroger sur le long silence de ses collègues et, d’une manière générale, sur le bon fonctionnement de la justice.

Il s’est déjà vu, par exemple il y a quelques années au tribunal de commerce de Nivelles, que des magistrats perpètrent les infractions les plus graves sans que, longtemps, personne ne bouge. L’explication qu’on donne après coup est qu’on a préféré jeter le manteau de Noé que dénoncer un scandale pouvant rejaillir sur toute la justice. Il fallut la croix et la bannière, en réalité la vigueur de l’avocat Michel Graindorge et de Mme Liekendael, à l’époque, pour qu’on poursuive et condamne, notamment, le président du tribunal de commerce.

Le cas de Franz-Joseph Schmitz participa probablement d’une gêne semblable de ceux qui auraient dû le dénoncer, mais il se double d’une caractéristique particulière. Cet homme, en effet, n’avait ni la culture ni la mentalité d’un magistrat, ayant accompli presque toute sa carrière dans des cabinets ministériels où il était « délégué ». Il n’aurait sans doute jamais rien fait d’autre si l’on n’avait pas créé le tribunal d’Eupen, exigeant la nomination d’un substitut parlant l’allemand, et le choix n’était pas large. En somme, c’est fortuitement que Franz-Joseph Schmitz passa des cabinets ministériels à ceux d’un magistrat, l’ancienneté faisant un jour, de lui, un premier avocat général. La différence de climat était sensible. Ce n’est pas médire des cabinets ministériels de penser qu’il n’y règne pas la même rigueur déontologique que chez les magistrats. Ainsi a-t-on pu avoir l’impression, pendant son procès, que Franz-Joseph Schmitz était quelque peu ahuri des reproches qu’on lui adressait, un peu comme s’il avait pensé  » Est-ce si grave ? « . Ce l’était, pour un magistrat.

Le pourvoi que, bien naturellement, il a formé contre l’arrêt de la cour d’appel n’est pas suspensif. Et, normalement, Franz-Joseph Schmitz devrait être incessamment prié de gagner une prison. On aura toutefois remarqué un certain bouleversement des usages judiciaires quand l’arrêt fut prononcé. D’habitude, le représentant du ministère public ne prend la parole que pour demander l’arrestation immédiate. Dans le cas contraire, il garde le silence et, tout au plus, fait signe que « non » si les magistrats de la cour le regardent dans l’expectative. Pour la première fois à ma connaissance, le représentant du ministère public, en l’espèce l’avocat général Errauw, s’est levé après le prononcé, mais ce fut pour dire qu’il « ne demandait pas l’arrestation immédiate ». Je ne vois rien à redire à cette innovation qui, après tout, va dans le sens de la transparence. Mais il me semble que c’était trop ou pas assez. Car, enfin, pourquoi M. Errauw ne demandait-il pas cette arrestation à laquelle tout le monde s’attendait ? On peut imaginer de bonnes raisons, au demeurant classiques, à savoir, par exemple, qu’il n’y avait pas lieu de craindre que M. Schmitz se soustraie à la justice. Très bien, mais si on prenait la peine, exceptionnelle, de s’exprimer, ne convenait-il pas de s’expliquer ? Sinon, on ouvre la voie à des supputations un peu pénibles : souci de ménager un homme qui a quand même été premier avocat général ?

Gêne (encore une fois) de l’exposer à la brutalité des menottes en audience publique ? Il est pourtant plus grave pour un ex-premier avocat général de perpétrer les infractions reprochées en l’espèce que s’il s’était agi d’un simple péquenaud.

On reparlera certainement de l’affaire Schmitz quand la Cour de cassation rendra son arrêt relatif au pourvoi déposé. Le cas est épineux: il touche directement au  » privilège de juridiction  » des magistrats qui amena l’intéressé à comparaître seul devant la cour d’appel, c’est-à-dire en l’absence de complices ou de coauteurs éventuels, ce qui, il faut bien l’avouer, le priva d’une partie de ses droits de défense en contestant les déclarations d’autres inculpés, sur lesquelles, au demeurant, l’arrêt de la cour d’appel s’appuie pour déclarer les infractions établies. Cette survivance du « privilège de juridiction » des magistrats crée ainsi, une fois de plus, une situation quasi impossible, mais depuis le temps qu’on le répète…

par Philippe Toussaint, rédacteur en chef du Journal des procès

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