Bien joué !

Et c’était reparti, le week-end dernier. Pour la 78e fois depuis les élections de 2007, les commentateurs annonçaient un jour crucial et répétaient que la crise n’avait jamais été aussi grave. Bart De Wever avait réussi à organiser de nouveau une belle mise en scène dont il assumait le premier rôle. C’était déjà le cas il y a deux semaines, quand il avait  » retiré la prise  » des négociations. Le spectacle eut alors lieu dans le cadre solennel du parlement flamand. De Wever, avec cravate et les cheveux bien peignés, n’était pas entouré par des figures perçues comme radicales – les Bourgeois, Brepoels, Weyts – mais par des  » modérés  » : l’ancien journaliste de la VRT Siegfried Bracke et l’ex-patron du Voka, Philippe Muyters. Tout exhalait le sens de la responsabilité et de l’Etat. Il se voulait rassurant : nous ne mettrons pas le pays en crise, nous sommes prêts à accorder des compétences élargies au gouvernement Leterme, etc. Tout cela devait servir à prévenir les réactions critiques envers le message principal : nous restons fidèles à nos principes, aussi sommes-nous obligés de faire une croix sur les négociations entre les sept partis. Bref, un beau morceau de communication politique. Les réactions des partis francophones étaient furieuses. La plupart des partis flamands n’étaient pas enchantés non plus. Après une semaine de chamailleries sur la question de savoir à qui le Palais devait faire appel pour recoller les morceaux, De Wever fut désigné comme  » clarificateur  » royal. Les partis francophones veillaient toutefois à ce que sa tâche fût limitée, de peur qu’il n’organise un nouveau spectacle médiatique. Son rôle ne consistait qu’à clarifier les points de vue des sept partis concernés. En dix jours.

Le septième jour, il annonçait que le neuvième jour il allait présenter une proposition à laquelle les sept partis devaient donner leur réponse au dixième jour. En ajoutant que ce serait l’ultime compromis, qui ferait mal à tous, à son propre parti inclus. Et voilà, le texte n’était pas encore écrit qu’il revêtait déjà le statut d’un compromis. Surtout parce que la grande majorité des commentateurs ignorent le fond des dossiers pour en évaluer le contenu eux-mêmes. Un nouveau moment solennel survint. En présentant sa note au Sénat, le clarificateur gravissait encore une marche de plus sur l’échelle du sens de l’Etat. De Wever s’était bien gardé de ne franchir aucune ligne rouge fixée par les autres partis flamands (pas de scission de l’impôt sur les sociétés, des allocations de chômage, du financement des hôpitaux…). Mais il a consciemment transgressé quelques lignes rouges francophones (dégraissage des compensations pour la scission de BHV, modèle de financement préjudiciable au fédéral et à la Région wallonne…). Et donc, les autres partis flamands ne pouvaient se permettre de rejeter la note, même s’ils étaient conscients qu’elle n’était pas susceptible de servir de compromis. Les partis francophones, eux, ont brillamment joué le rôle que De Wever leur avait réservé dans sa pièce en réagissant assez vite et surtout de façon non moins théâtrale et très virulente. Le lendemain, les médias des deux côtés de la frontière linguistique ont enchaîné. Et De Wever, criant sa déception, a échappé à l’isolement qui le menaçait du côté flamand depuis quelques semaines.

A quiconque veut décoder l’impasse politique actuelle, il ne suffit pas de connaître les tenants et les aboutissants de la loi de financement ou de la répartition de compétences dans ce pays. Une bonne connaissance du rôle des médias et de la communication politique est tout aussi essentielle.

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DAVE SINARDET Politologue à l’université d’Anvers

La communication politique est essentielle

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