© FRÉDÉRIC RAEVENS

Biden, le retour à la réalité

L’espoir, l’unité, la décence, la science, la vérité. Réconcilier, écouter, progresser… Ce ne sont que des mots. Ce ne sont que des paroles prononcées dans la nuit de Wilmington, Etat du Delaware, aux Etats-Unis. Mais elles l’ont été par une femme noire, fille d’immigrés, élue vice-présidente, et par un homme blanc, fils de vendeur de voitures d’occasion, élu président. Et cela change tout.

A travers leurs allocutions et leur attitude à l’unisson depuis cette soirée étoilée, c’est un formidable vent d’enthousiasme, de sérénité et d’espoir que Kamala Harris et Joe Biden ont insufflé à l’Amérique et au monde. A vrai dire, leurs discours n’étaient pas exceptionnels. Plutôt simples, conventionnels, attendus. Mais qu’il était bon de les entendre après quatre années de morgue, d’invectives et de vulgarité.

Un moment aussi éphémère n’autorise pas à se bercer d’illusions. La présidence qu’inaugurera Joe Biden le 20 janvier prochain sera une des plus difficiles assumée par un commandant en chef des Etats-Unis. Un seul mandat, probablement, vu l’âge de l’impétrant. Surtout, une gouvernance cornaquée par un Sénat, qui restera sauf surprise à majorité républicaine, et une Cour suprême dominée par des juges conservateurs. Une élection, enfin, qui aura été contestée comme jamais par le camp adverse, par un Donald Trump qui s’accroche au pouvoir comme un enfant à son jouet au risque de fragiliser la démocratie américaine et les institutions qui la fondent.

Pourtant, les fraudes qu’il dénonce à tout crin, depuis avant même la tenue de l’élection, n’ont pas reçu le début de commencement d’une confirmation et l’obstination qu’il affiche à refuser d’admettre sa défaite s’avère chaque jour un peu plus pathétique. Rien de plus logique après tout. Pour un président qui n’a eu de cesse de nier l’évidence des faits pendant son mandat, la réalité de son échec ne peut qu’être une supercherie.

Renouer avec la réalité aura été un autre changement imprimé par le président élu lors de sa première prise de parole. Lui a nommé les choses. Les ravages de l’épidémie de coronavirus, le racisme systémique, la crise climatique… ne sont plus des fake news. Comment ne pas s’en réjouir quand on sait les défis qu’ils posent et les diagnostics qu’ils imposent pour les combattre le plus efficacement.

Dans une dernière manipulation méprisante et dangereuse, Donald Trump tente encore de s’attribuer le sacre présidentiel. Il n’y parviendra pas. Mais il aura ancré dans l’esprit de ses partisans, et au-delà, que Joe Biden est un président usurpateur ou mal élu. Or, par l’extrême polarisation qu’il a introduite dans la vie politique américaine, il aura paradoxalement ravivé l’intérêt des Américains pour le choix de leurs dirigeants et ainsi fait du 46e président des Etats-Unis celui qui a été élu par le plus grand nombre de citoyens et par le plus vaste élan civique jamais observé. Le corollaire de cette exacerbation des rivalités est le risque palpable de violences intercommunautaires qui pourraient embraser l’Amérique.

Donald Trump aura paradoxalement fait du 46e président le mieux élu de l’histoire des Etats-Unis.

De l’héritage de deux présidences de Barack Obama, certains retiennent comme principal, voire seul, acquis, le simple fait, en tant que premier président noir des Etats-Unis, d’avoir été élu. Il est possible, vu les obstacles auxquels il s’apprête à devoir faire face pour imposer ses projets, que le seul bénéfice que d’autres conserveront de la présidence de Joe Biden sera d’avoir évincé Donald Trump et favorisé le crépuscule du trumpisme. Pour le bien-être des Américains, on espère qu’il pourra se targuer dans quatre ans d’autres réalisations. Mais aujourd’hui, on pourrait même s’en contenter.

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