Benoît XVI, les cathos et le sexe

Les propos du pape sur le préservatif renforcent les critiques contre lui et divisent les catholiques. La ligne doctrinale du Vatican a de plus en plus de mal à passer.

L’intitulé du mail rappelle celui des groupes de soutien aux Palestiniens bombardés de Gaza :  » Comité Urgence Pape-Sida « . Malin et bien ficelé, le texte, diffusé par une agence de relations publiques, est en réalité un petit test pratique, replaçant dans leur contexte les propos explosifs de Benoît XVI sur le préservatif.  » Etape n° 1, lisez cette phrase : « On ne peut résoudre ce fléau en distribuant des préservatifs : au contraire, cela risque d’augmenter le problème. » Etape n° 2 : lisez l’ensemble du texte suivant.  » Suit la réponse complète de Benoît XVI à la question sur la capote, posée le 17 mars par un journaliste dans l’avion menant le Saint-Père au Cameroun.  » Nous sommes des catholiques pratiquants qui souhaitons alimenter sereinement le débat « , explique le fondateur du comité, Guillaume de Prémare, 41 ans, un consultant en communication qui ne s’est visiblement pas trompé de métier. Un autre site –  » Benoît, j’ai confiance en toi !  » – lancé en plein typhon Williamson (le prélat intégriste négationniste) a, quant à lui, recueilli 10 000 signatures de soutien.

Il faut sauver l’apôtre Benoît ! D’après un sondage Ifop publié le 22 mars dans Le Journal du dimanche, 43 % des catholiques français – dont 31 % de pratiquants – souhaitent que le souverain pontife de bientôt 82 ans démissionne ou parte à la retraite. De même, 52 % des Italiens disent » désapprouver totalement  » les déclarations du pape.

En Belgique aussi, les propos de Benoît XVI ont provoqué une avalanche de réactions. Dans le monde politique, socialistes et libéraux ont sorti l’artillerie lourde. Laurette Onkelinx (PS) a parlé de  » vision doctrinaire dangereuse « . Charles Michel (MR), de  » propos irresponsables « . Un collectif de professeurs de l’UCL dénonce le  » rejet par la hiérarchie catholique des moyens de contraception présentés d’emblée comme contraires à l’humanisation de la sexualité « . Au sein de l’Eglise, certains admettent une  » formulation maladroite  » (Mgr Jousten, évêque de Liège). D’autres voix, pas seulement catholiques, mettent plutôt en cause les médias, accusés d’avoir sorti de leur contexte les  » petites phrases  » controversées. Ou estiment même que, sur le fond, le pape a raison : la distribution de préservatifs n’est pas  » la  » solution pour vaincre le sida. La déclaration du souverain pontife tombe néanmoins très mal pour le Vatican, après d’autres dérapages.

Où va Benoît XVI ? La réponse, au fond, n’a rien de mystérieux. L’ancien gardien du dogme chemine là où ses convictions l’ont toujours poussé : vers les fondamentaux de la foi. La loi de l’Eglise. Logique, pour un pape, répliquent à raison ses défenseurs. Mais, chez Benoît XVI, ce rappel constant vibre comme un sermon jeté à la face des sociétés modernes. Car, ce n’est un secret pour personne, et encore moins pour ce fin observateur des m£urs contemporaines, la norme catholique entre de plus en plus souvent en contradiction avec l’évolution de l’époque. Au chapitre du sida, le pontife aurait pu s’en tenir à l’évocation de la fidélité conjugale, sans mentionner le terme  » préservatif  » ni ajouter qu’il  » aggravait  » le problème. Jean-Paul II lui-même avait pris soin d’éviter le mot. Benoît XVI a choqué, et alors ? Il y a une pointe de provocation chez ce vieillard aux allures de père tranquille, qui assume et revendique sa prédication à la paille de fer.  » L’Eglise peut précisément être moderne en étant antimoderne, en s’opposant à l’opinion commune, confiait-il en 1998, alors cardinal Ratzinger, au journaliste Peter Seewald, dans le livre Le Sel de la terre (Flammarion-Cerf). A l’Eglise incombe un rôle de contradiction prophétique, et elle doit aussi en avoir le courage.  » Autrement dit, le catholicisme ne doit pas craindre de s’affirmer comme contre-culture. Et tant pis si, à force de se tourner vers Dieu, le pape semble en oublier les hommesà

Ce message abrasif exigerait des orfèvres en communication. Les multiples impairs du pontificat en la matière montrent que, sur ce point, le Vatican ne se donne pas les moyens de ses ambitions. Même les curés de campagne semblent avoir mieux compris que les cardinaux romains le fonctionnement de la pieuvre médiatique. Il est loin, le temps où Joaquin Navarro-Valls, porte-parole de Jean-Paul II, médecin et journaliste, tenait habilement les médias à distance. Son successeur, Federico Lombardi, un jésuite fort occupé par sa congrégation, n’a ni la même aisance ni les mêmes pouvoirs. Contrairement à son prédécesseur, il ne parle pas au pape au téléphone trois fois par jour.  » Joseph Ratzinger s’est toujours méfié de ceux qui l’entouraient, explique un connaisseur du Vatican. Devenu pape, il a réduit au strict minimum les canaux de communication avec la curie – le gouvernement de l’Eglise – et avec l’extérieur. Du coup, son porte-parole ne sait jamais, le matin, ce qui va se passer à midi.  » Benoît XVI délègue beaucoup, soucieux de se recentrer sur le contenu spirituel de sa tâche. A l’intérieur de la curie, les dicastères – les ministères de la papauté – fonctionnent dans leur coin.  » Il faut tout changer : les méthodes, les gens « , affirme le journaliste Patrice de Plunkett. Ce catholique engagé prépare un dossier sur la communication du Vatican pour la revue Kephas. Revue dont la création, au début des années 2000, avait été suggérée parà Joseph Ratzinger. Le pape écoutera-t-il ceux qui lui veulent du bien ? A Rome, en tout cas, l’intransigeance maladroite de Benoît XVI suscite de plus en plus de remous.

Claire Chartier, avec Mahaut Chantrel et olivier rogeau

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