» Benoît XVI a mixé des considérations morales et médicales « 

Pionnier de la lutte contre le sida, Nathan Clumeck est chef du service des maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. Le scientifique décode la polémique papale.

Le Vif/L’Express : D’un point de vue scientifique, que pensez-vous des propos du pape sur le préservatif ?

> Nathan Clumeck : Lorsque Benoît XVI indique que le préservatif n’est pas LA solution en matière de lutte contre le sida, la communauté scientifique s’accorde sur ce point de vue. L’OMS n’a d’ailleurs pas critiqué cela. La prévention doit être multifactorielle dans la lutte contre le VIH. Le préservatif est un élément de cette lutte, mais il faut aussi agir sur d’autres terrains, comme l’administration d’antirétroviraux aux partenaires infectés, la recherche sur les microbicides, la circoncision des hommes, etc. En revanche, lorsque le pape indique que le préservatif pourrait  » aggraver  » l’épidémie, il introduit une connotation morale au débat scientifique, ce qui est inacceptable. Car il juge le comportement sexuel des gens infectés par le VIH. C’est forcément choquant pour les acteurs de prévention. Et même si le Vatican a ensuite nuancé ses propos, et que la version écrite est plus complexe, les médias n’ont pas manipulé cette première version.

La responsabilisation sexuelle prônée par le Vatican n’est-elle pas un bon moyen de lutte contre le VIH ?

>Dans le cadre des maladies sexuellement transmissibles, il est évident que la monogamie est un moyen de protection. Encore faut-il apporter des nuances. Ainsi, dans le programme de prévention sida PEPFAR (1) financé par l’ancien président des Etats-Unis George W. Bush et soutenu par les chrétiens conservateurs, la condition pour bénéficier de l’aide était l’abstinence. En Ouganda, où s’est déroulé ce programme, les scientifiques ont observé une remontée du taux d’infection. Ensuite, rappelons que les premières personnes infectées en Afrique aujourd’hui sont les femmes qui, elles, sont souvent monogames, mais ont un partenaire qui a des relations multiples. Bien sûr, parler de fidélité est important, mais cette valeur du couple n’est pas le propre de l’Eglise. N’importe quel laïque peut y adhérer.

Avec le recul, que pensez-vous des conséquences de cette polémique ?

>La tempête a eu le grand mérite de clarifier les positions de chacun et de recadrer les propos du pape. En parlant comme il l’a fait du préservatif, Benoît XVI a mixé des considérations morales et médicales. Or l’Eglise doit se placer dans le débat éthique, mais ne peut entrer dans le débat scientifique sur les moyens de contrôler une épidémie. Car cette lutte est multifactorielle. S’il n’existait qu’une seule façon d’éradiquer le virus, nous l’aurions choisie depuis longtemps. Cette polémique a donc renvoyé le pape à son  » métier  » et a réaffirmé l’importance de la laïcité.

L’Eglise peut-elle être une alliée dans la prévention ?

>Dans certains pays d’Afrique, par exemple, où l’Eglise a un impact important, elle peut jouer un rôle. Certains prêtres ont d’ailleurs adopté le principe de réalité et n’interdisent pas l’usage du préservatif. Mais cette polémique a pu semer le doute et renforcer le rôle des conservateurs qui ne veulent pas croire à la nécessité du préservatif. Ainsi, quand certains évêques contestent son efficacité en parlant par exemple de porosité du latex, c’est archifaux. C’est de la manipulation, de la désinformation honteuse. Utilisé correctement, le préservatif est efficace. En Afrique, principal continent touché par la maladie, instiller ce genre de doute a un impact très négatif et peut décourager les acteurs de terrain.

(1) The United States President’s Emergency Plan for AIDS Relief.

Propos recueillis par Chloé Andries

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