Belliraj au secret

Tenu au secret à la prison de Salé, au Maroc, Abdelkader Belliraj est au centre d’une belle embrouille entre la Belgique et le Maroc.

Faut-il revoir un certain passé opaque de la Belgique à la lumière des déclarations du Belgo-Marocain Abdelkader Belliraj, 51 ans, arrêté et emprisonné à Salé, au Maroc, avec 34 autres personnes ? Depuis les révélations fracassantes, en février, du ministre de l’Intérieur marocain Chakib Benmoussa, sur l’implication de Belliraj dans un complot terroriste, un doute énorme subsiste. Les services de sécurité marocains ont pu susciter ces aveux en formulant eux-mêmes les questions et les réponses, le vrai but étant de provoquer la chute de six personnalités politiques islamistes de l’opposition marocaine. Le Maroc, en se moment, se cabre contre l’influence chiite.

Le fait que ni le parquet fédéral ni la Sûreté de l’Etat n’aient été avertis du  » scoop  » de Chakib Benmoussa a choqué plus d’un haut responsable belge. Les interlocuteurs ne manquent pourtant pas à Rabat : Patrick Zanders, officier de liaison pour la police fédérale, et Michel Bernard, magistrat de liaison du parquet fédéral. En dépit des protestations de façade, l’affaire Belliraj a bel et bien affecté les relations entre les deux pays. La Direction générale des études et de la documentation (DGED), le service de renseignement extérieur du Maroc pouvait-elle ignorer que Belliraj était un informateur rémunéré de la Sûreté de l’Etat, comme ce dernier l’a avoué devant le juge d’instruction marocain, le 17 mars ?

Ce n’est pas le procès de Rabat, annoncé pour le 16 octobre, mais probablement reporté, qui permettra de dénouer les fils de l’écheveau. En effet, Belliraj s’est rétracté devant le juge d’instruction de tous les crimes dont on l’accuse. La commission rogatoire envoyée au Maroc par le parquet fédéral n’a pu rencontrer le suspect qu’en présence d’officiels marocains. Son avocat belge, Me Vincent Leurquin, accompagné de Me Mohammed Ziane, ancien bâtonnier de Rabat, n’a pas pu le voir en prison :  » Impossible, regrette Me Leurquin, de vérifier s’il est en bonne santé ni même de participer à sa défense. « 

Restent les auditions des 16, 18, 26 et 27 février, versées au dossier pénal, à Bruxelles. Elles n’ont aucune valeur probante, puisqu’il ne s’agit que d’un interrogatoire de police. Mais elles fourmillent de détails que Me Michèle Hirsch, avocate de la famille Wybran, estime convaincants. Abdelkader Belliraj y expose, en long et en large, son curriculum vitae de vétéran des réseaux terroristes. Questionné sur son obédience religieuse, il répond sans sourciller :  » Jihadiste. « 

Un immigré de la deuxième génération

L’homme est un immigré de la deuxième génération. Originaire de Nador, son père travaille dans une verrerie bruxelloise, lorsqu’à 14 ans Belliraj le rejoint, avec le reste de la famille. Le jeune homme décroche un diplôme de technicien électricien. A 23 ans, séduit par l’ayatollah Khomeyni, il est invité, tous frais payés, par l’ambassade d’Iran à célébrer le premier anniversaire de la révolution islamique. Il fréquente aussi la mosquée Al Khalil de Molenbeek et y suit les prêches d’imams radicaux. Il rêve de porter la révolution islamique dans son pays d’origine et, bien que sunnite, il flirte donc avec les chiites. En 1982, il entame sa carrière de trafiquant d’armes. En 1983, il séjourne, dit-il, au Liban pour apprendre le maniement des armes à feu et des explosifs. Il est approché, en 1988, par le groupe Abou Nidal, dissident de l’OLP, en Algérie. Son contact le  » charge de l’informer de n’importe quelle visite de Yasser Arafat au Maroc et de le renseigner aussi sur d’importantes personnalités d’origine juive, installées en Belgique afin de les cibler et de les liquider.  » Entre 1985 et 1991, Belliraj déclare aussi avoir été employé à la CSC-Bruxelles ( NDLR : où sévissait alors Nouri Lekbir, un agent d’influence libyen).

Avec les cinq membres de sa cellule  » belge « , il se vante d’avoir assassiné, en 1989, un  » déviant sexuel d’origine juive belge « , un  » individu d’origine juive, propriétaire d’un commerce, herboriste à Bruxelles « , le recteur saoudien de la Grande Mosquée du Cinquantenaire (parce qu’il avait critiqué la fatwa lancée contre Salman Rushdie) et son bibliothécaire, un chauffeur égyptien de l’ambassade d’Arabie saoudite (par erreur) et, enfin, le Dr Joseph Wybran.  » Toujours dans le cadre des opérations de liquidation d’importantes personnalités juives belges au profit de l’Organisation d’Abou Nidal, raconte-t-il, j’ai procédé à la filature (…) du Dr Wybran, chef du département de l’immunologie à l’hôpital universitaire de Bruxelles (…) afin de l’assassiner pour ses prises de position sionistes radicales.  » Son homme de main était A.M., de Genk.  » Je suis resté dans la voiture jusqu’à ce que j’aperçoive le docteur sortir de l’hôpital, en se dirigeant vers sa voiture garée dans le même parking. J’ai fait un signe avec mes doigts au dénommé A.M. en désignant la personne ciblée. Il était 6 heures du soir. « 

Le portrait-robot de l’homme au comportement suspect, aperçu sur le lieu du crime par un témoin, a été exhumé du dossier pénal. Il présente une ressemblance troublante avec Belliraj. Mais, à l’époque, ce dernier n’avait pas été inquiété, bien que son discours radical et ses trafics d’armes fussent déjà bien connus. En revanche, il a été interrogé et perquisitionné dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du recteur de la Grande Mosquée. Sans résultat. Est-on passé à côté d’un assassin en série, recyclé ensuite comme indicateur ? L’enquête n’est pas close en Belgique.

Marie-Cécile Royen

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