Balthus à découvert

Guy Gilsoul Journaliste

Jusqu’à sa mort, Balthus aura tout fait pour rester l’artiste le plus secret du XXe siècle. Aujourd’hui, avec trois parutions, les langues se délient

« Regardez la peinture! » ordonnait Balthus (1908-2001) à ceux qui voulaient en savoir plus sur le personnage. Avec la même violence, il refusait toute exégèse et se méfiait davantage encore du discours des psychanalystes. Mais voilà, quelques mois après sa mort, trois livres paraissent, accompagnant la grande rétrospective vénitienne consacrée au peintre. Et les langues se délient.

Le premier opus, et le plus percutant, révèle la correspondance du peintre avec son premier amour, Antoinette de Watteville. On y découvre un jeune artiste amoureux fou, romantique à l’excès. Elle a quelques années de moins que lui. Il la connaît depuis l’enfance. Elle est restée en Suisse. Il vit à Paris. Les rencontres sont furtives et bientôt interdites. Un consul belge (de Boitsfort) serait un bien meilleur parti. Elle hésite. Balthus pleure. Il trouve des mots tendres pour dire sa mélancolie devant une petite mèche de cheveux envoyée par sa belle héroïne. Il l’attend, craint de la voir trop vite. Il se sait irrésistiblement beau. Il sait aussi qu’il est déjà un peintre de génie et un génial misanthrope. Dans le milieu aristocratique qui est le sien, il éblouit par son sens de la repartie et ses remarques ironiques. Suivent les commandes de portraits. On s’arrache tôt ses toiles alors que rien ne les rattache aux modes du temps. Quand il scandalise, c’est d’abord, écrit-il à sa belle, « pour sortir les gens de leur léthargie ». Après neuf années d’échanges épistolaires, le couple se marie. On n’y croyait plus. En 1961, André Malraux lui propose la direction de la Villa Médicis à Rome…

Il faut alors rejoindre le deuxième livre, qui sert aussi de catalogue à l’exposition vénitienne. L’un des textes (signé Annick Lemoine) y évoque la métamorphose « balthuséenne » de l’illustre palais. Avec la bénédiction de son protecteur politique, le peintre devient tour à tour archéologue (une citerne romaine est exhumée dans les sous-sols), restaurateur (d’anciennes fresques avaient été recouvertes), paysagiste (il redessine les jardins). Tout y est désormais soumis à l’univers onirique de l’artiste qui assemble, repeint, transforme, au grand dam de certains. La villa devient un immense Balthus, une oeuvre mystérieuse autant que troublante, dans laquelle le visiteur ou le pensionnaire se promène comme dans un rêve. Un autre texte (signé Michelina) révèle, dans le même ouvrage, les rapports du peintre à ses jeunes modèles. On retrouve alors Balthus dans son atelier de dessin, la cigarette aux lèvres et le foulard de soie autour du cou, laissant à la petite fille le choix de la pose. Michelina évoque le poids du silence et, lors des interruptions, la voix du peintre lorsqu’il déclame Dante ou Virgile et qu’il chante un air de Mozart. Puis, revêtu son kimono, le moment rituel où il emmène Michelina dans le grand salon où Setsuko, sa nouvelle épouse, l’attend avec le beau monde.

Dans le troisième livre, Costanzo Costantini risque la méthode de l’interview. Régulièrement, durant dix ans, le journaliste rend visite au vieux peintre et reçoit de petits fragments de confidences. Ainsi, l’importance de sa foi chrétienne, son admiration pour le pape ou pour cette Pologne mythique dont il est, comme lui avait demandé son père sur son lit de mort, un chevalier. Mais aussi, et toujours, l’art des pirouettes. Balthus reste ainsi jusqu’à son dernier jour le « Struwwelpeter » (Pierre l’ébouriffé) des contes allemands: « J’ai connu Bataille quand Laurence, sa fille, avait 13 ou 14 ans. A cette époque, mon numéro préféré était de me mettre sur la tête! ».

Balthus, correspondance amoureuse, Buchet Chastel, 488 p. Balthus, sous la direction de Jean Clair. Flammarion, 496 p. Balthus à contre-courant. Entretiens avec Costanzo Costantini, Noir sur blanc, 208 p.

A voir: Venise, Palazzo Grassi. Jusqu’au 6 janvier. tél.: +39-41-523 16 80.

Guy Gilsoul

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