Avec Hollande, sans Di Rupo

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La grand-messe de Kinshasa tirera-t-elle le Congo vers le haut ? Ou confortera-t-elle le régime de Kabila ? Dix mots-clés pour comprendre les enjeux du XIVe Sommet de la francophonie.

Oubliés les appels au boycott, le bras de fer Kabila-Hollande et les doutes sur la capacité du Congo d’organiser un grand rendez-vous international : 73 Etats membres et des cohortes d’invités participent, du 12 au 14 octobre à Kinshasa, au XIVe Sommet de la francophonie. Depuis la première édition, en 1986, c’est la première fois que la grand-messe biennale des pays ayant en commun la langue française se tient dans un pays d’Afrique centrale. Joseph Kabila entend bien en profiter pour redorer l’image du pays et du régime. Le président congolais a été réélu dans des conditions peu crédibles et les violations répétées des droits de l’homme en RDC ont fait planer sur le sommet la menace d’une délocalisation. En dix mots-clés, les enjeux du rendez-vous.

ISOLEMENT

La venue de François Hollande et d’autres chefs d’Etat à Kinshasa rompt l’isolement de Kabila. Le président congolais avait été affecté par l’absence des chefs d’Etat africains et occidentaux lors de sa prestation de serment pour un second quinquennat, le 20 décembre dernier. Seul Robert Mugabe, l’infréquentable président du Zimbabwe, avait fait le déplacement.

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Pour le Premier ministre congolais, le sommet est l’occasion d’attirer l’attention des investisseurs étrangers intéressés par des partenariats de type public-privé. Augustin Matata Ponyo reconnaît toutefois que l’image du pays est  » extrêmement négative  » : fonctionnaires corrompus, services publics défaillants, chômage endémique, population à plus de 70 % au-dessous du seuil de pauvreté, indice de développement humain parmi les plus faibles de la planète.

DÉSAVEU

François Hollande, qui entreprend son premier périple en Afrique à l’occasion du Sommet de la francophonie, fera étape à Dakar avant de venir en RDC. Le président français s’est longtemps montré réticent à se rendre à Kinshasa, attitude perçue comme un désaveu du raïs  » mal élu  » (voir l’encadré).

DÉLOCALISATION

Plusieurs sources ont indiqué, dès juin, que le sommet pouvait être déplacé à l’île Maurice, l’opposition tshishekediste ayant appelé à une mobilisation en vue de perturber le rendez-vous kinois. Mais l’instabilité politique n’était sans doute pas la raison principale d’émergence d’un  » plan B  » : des subventions destinées à la mise sur pied du sommet auraient été dilapidées à Kinshasa.

CHANTAGE

Hollande a posé ses conditions pour sa participation au sommet, notamment dans les domaines des droits de l’homme et de la transparence électorale. Du coup, Kabila s’est cabré : pas question de plier devant les exigences françaises. Il a même menacé de retirer la RDC – premier pays francophone par sa superficie – de l’espace francophone si le sommet était délocalisé.

PRESSIONS

Le chantage exercé par Kinshasa aurait eu un certain impact et Paris aurait réalisé que la politique de la chaise vide était une option risquée. En outre, des géants de l’économie française présents au Congo – Areva (uranium), Lafarge (ciment), Orange (télécoms), Total (pétrole), Alstom (avec des sociétés d’Etat) – auraient lourdement insisté pour que le président français se rende à Kinshasa.

ASSASSINATS

La France appelait aussi, en coulisses, au jugement des  » vrais  » responsables du double assassinat, en juin 2010, de Floribert Chebeya, l’activiste des droits de l’homme, et de son chauffeur, Fidèle Bazana. Le procès en appel des assassins présumés s’est ouvert fin juin 2012. Mais l’audience cruciale au cours de laquelle la Haute Cour militaire doit statuer sur le sort du patron (suspendu) de la police nationale a été reportée au 23 octobre, après le Sommet de la francophonie. Les parties civiles veulent que le général John Numbi, considéré par elles comme le suspect n° 1, comparaisse comme prévenu et non plus comme témoin.  » Ce report vise à éviter que Numbi soit inculpé « , estime l’ONG La Voix des sans-voix, fondée par Chebeya.

OPPOSITION

Pour ne pas servir de caution au régime, Hollande a promis de  » tout dire  » et de rencontrer l’opposition politique, les militants associatifs et la société civile. Il recevra Etienne Tshisekedi à l’ambassade de France. L’UDPS, le parti du vieil opposant, a néanmoins maintenu plusieurs manifestations.

ABSENCE

Mons ou Kinshasa ? Elio Di Rupo a renoncé à se rendre au Sommet de la francophonie, qui se déroule en même temps que les élections communales en Belgique. Didier Reynders, chef de la diplomatie, qui, lui, fait le déplacement, n’a pas manqué de critiquer ce choix :  » Pour la première fois, on a un Premier ministre francophone, et il ne se rend pas au Sommet de la francophonie ! Il y a un paradoxe.  » Di Rupo a donné le change en assurant qu’il envisageait un déplacement de plus longue durée au Congo, pour voir aussi l’intérieur du pays. Son absence  » n’est pas un drame  » ont commenté les autorités congolaises.

PRÉPARATIFS

Comme souvent, la tenue d’un sommet international dans une capitale du Sud y stimule un ravalement de façade précipité. Les Chinois ont accéléré les travaux d’asphaltage de la route chaotique qui relie l’aéroport de N’Djili à Kinshasa. L’éclairage public a fait son apparition sur quelques axes centraux (ce qui prive d’électricité des quartiers périphériques). Des poubelles métalliques ont été installées sur le boulevard du 30-Juin. Des petits commerces ont été détruits au bulldozer. Des marchands ambulants, des réparateurs et des enfants des rues ont été chassés par la police.  » Tout est fait pour que les quelque 3 000 visiteurs étrangers gardent une bonne impression des lieux du centre-ville où ils se déplaceront, remarque un cadre congolais. Mais cela ne va pas changer le quotidien de la plupart des Kinois. « 

OLIVIER ROGEAU

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