AUDIOVISUEL

La vente attendue d’un bijou de famille – le réseau européen RMBI – devrait rapporter beaucoup d’argent à la RTBF en proie à un nouveau gros problème budgétaire. Mais la Communauté française lorgne le magot…

Beaucoup mieux qu’un parcours sans faute à Qui sera millionnaire? et qu’un billet gagnant au Win for Live : la RTBF est sur le point de voir tomber dans sa tirelire de quoi la soulager de quelques tracas financiers. Si tout se passe comme elle le rêve, pas moins de 1,2 milliard de francs viendront gonfler sa trésorerie. Cette manne providentielle, qui représente près d’un sixième de sa dotation annuelle (6,5 milliards de francs), lui permettrait de financer, en toute quiétude, son « plan d’entreprise 2001-2005 » qui prévoit notamment de redynamiser l’information régionale, de favoriser l’événement en direct, de lancer un JT du matin, de moderniser sa technologie et d’être performante sur Internet. Elle pourrait aussi en finir avec la résorption de ses pertes cumulées et répondre sans sourciller à d’éventuelles obligations nouvelles du prochain contrat de gestion, en négociation avec la Communauté française.

Un scénario trop beau pour être vrai? Il faut, en effet, lui apporter deux nuances de taille, propres à saper le moral des plus blasés au sein de la radiotélévision publique. Un: il est très peu probable que la RTBF jouira du pactole comme elle l’entend, car la Communauté française en lorgne une partie. Deux: même devenue soudainement plus riche, la RTBF doit faire face, dès cette année, à de nouvelles dépenses sociales importantes… non prises en compte dans son plan 2001-2005. Bref, on va entendre parler de l’affaire dans les prochains jours. Et à en juger par l’humeur de certains au Boulevard Reyers – qui hurlent déjà au « scandaleux détournement de fonds » – ce ne sera pas toujours tendre. En toile de fond du débat, la question, déjà soulevée lors de la vente des parts de la RTBF dans Canal+ Belgique, revient en force : jusqu’où une entreprise publique autonome peut-elle réellement maîtriser ses revenus commerciaux ?

Histoire à succès

C’est la vente d’un très gros bijou de famille – sa conclusion était prévue ces jours-ci – qui fait soudain miroiter la perspective d’un bel enrichissement. La RMBI, réseau international de la régie publicitaire RMB, devrait, en effet, être cédée au groupe financier français Electra pour quelque 3,5 milliards de francs. Pour les copropriétaires du réseau, la RTBF et le groupe UGC (via la RPB, Régie publicitaire belge), une page serait ainsi tournée dans ce qui a été une véritable success story.

Voici quinze ans, lorsqu’elle ne diffuse encore que des publicités non commerciales, la RTBF, qui se bat pour passer à la « vraie » publicité, crée la Régie Media Belge. Le service n’occupe que 4 personnes, sous la direction de Pierre Paul Vander Sande, alors adjoint à la direction de la télévision.

Avec des partenaires belges d’abord, puis suisses, puis français (l’UGC détient 49 % depuis juin 2000), la RMB va devenir une très importante régie belge, commercialisant les espaces publicitaires de la RTBF (ce qui lui rapporte 1,9 milliard de francs), de Canal+, de TV5, de MCM International mais aussi des 12 télévisions locales, des radios NRJ, de plusieurs titres de presse et de tous les écrans de cinéma du pays. Soit un chiffre d’affaires de plus de 6 milliards de francs. A partir de 1990, la régie achète ou crée des sociétés aux Pays-Bas, en Finlande, au Portugal. Sans tapage, un réseau européen va ainsi se constituer progressivement, intégré depuis 1995 sous l’enseigne « RMB International », actif aujourd’hui dans 16 pays et bientôt 17. Quel rapport avec la petite RTBF? « Nous sommes restés son soutien permanent, son lien avec une structure capitalistique, répond Pierre Paul Vander Sande, directeur général de la RMB et administrateur délégué de la RMBI. Sans la RMBI, il y avait un risque, pour la RTBF, de s’isoler dans le concert européen. Nous lui avons donné accès à des partenaires potentiels. »

Développer davantage les activités internationales coûterait beaucoup d’argent. UGC a donc décidé de vendre, intéressée par la plus-value à réaliser. Actionnaire minoritaire, la RTBF ne pouvait que suivre. Pour la RMBI, la vie quotidienne ne devrait pas changer : Electra, qui agit pour le compte de banquiers étrangers, laissera l’actuel management en place.

Obligée de partager ?

Sans y avoir investi directement un seul centime, la RTBF a donc vu le tiers qu’elle possède dans la RMBI valorisé dans des proportions incroyables. Elle compte bien, si la vente se réalise, croquer le fruit sans partage. Mais au gouvernement de la Communauté française, on voit les choses d’un autre oeil. « Je ne suis pas pour priver la RTBF de cet argent, explique Richard Miller, ministre (PRL) de l’Audiovisuel, mais je suis favorable à un partage: une partie devra permettre les investissements technologiques de la radiotélévision, une fois signé le nouveau contrat de gestion. L’autre partie devra bénéficier à l’industrie culturelle et audiovisuelle. » Le ministre évoque à ce propos la création d’outils financiers adaptés qui seraient chargés de gérer les fonds en question.

Jean-Marc Nollet, ministre communautaire (Ecolo) de l’Enfance et de l’Enseignement fondamental, et ancien vice-président de la RTBF, partage ce point de vue et l’élargit. « La Communauté française, dit-il, est l’actionnaire exclusif de la RTBF. Dès lors, la discussion doit se passer à ce niveau-là. Je suis bien conscient que la RTBF a fait fructifier la valeur de sa régie et qu’elle a des besoins. Mais il est normal que la Communauté évalue la dotation qu’elle octroie en fonction des autres revenus de la RTBF. Tous les secteurs ont des besoins, et d’autres entreprises autonomes comme l’Office de la naissance et de l’enfance par exemple (NDLR: 4,5 milliards de dotation) n’ont pas, elles, l’occasion de développer des activités commerciales… »

Ce genre de propos a évidemment le don d’en faire bondir quelques-uns à la Cité Reyers. On y rappelle que l’autonomie de l’entreprise s’étend à toutes les activités ne relevant pas des strictes missions de service public. On voit dans les propos gouvernementaux une stupéfiante incitation à l’immobilisme. « Qu’une partie de l’argent serve à des synergies culturelles, avec des retours pour nous, pourquoi pas? concède Marie-Hélène Berton-Crombé, présidente de la RTBF. Mais la maîtrise de toute la recette doit nous revenir. » Cette juriste s’étrangle en entendant l’argument de Nollet : « Comment « l’actionnaire » Communauté française pourrait-il prétendre disposer de quelque chose qui ne lui appartient pas? La RMBI a été créée et développée sans un franc de la Communauté, mais par des enprunts! » N’empêche, réplique-t-on dans l’entourage du ministre vert, « quand la RTBF a besoin de 5 millions de plus pour Les Niouzz, elle vient les demander à la Communauté ».

Nollet, qui, curieusement, s’exprime plus que son collègue Miller sur le sujet, a même déjà son idée sur l’usage adéquat des millions par la RTBF. « Elle pourrait en profiter pour sortir sa diffusion du monopole des télédistributeurs et investir dans une couverture de toute la Belgique par le satellite ou par le numérique hertzien. J’ai des réunions prévues à ce propos pour mesurer la faisabilité technique et économique des options. »

Fonds de pension: la tuile

A ce débat-là, encore hypothétique, s’ajoute un gros souci, tout à fait certain. Dès le 1er juillet prochain, la RTBF sera sous le coup de nouvelles dispositions en matière de règlement de travail, dont le coût s’élève à 200 millions de francs en embauches supplémentaires. Une paille en regard de l’autre problème que viennent de découvrir les administrateurs de la RTBF après lecture d’un rapport d’audit: le fonds de pension de l’entreprise est largement sous-financé et il ne répond plus aux exigences légales.

L’institution a-t-elle été à ce point mal conseillée par la SMAP qui gère son dossier? En octobre dernier, celle-ci expliquait à la RTBF qu’elle devrait augmenter sa dotation au fonds de 90 millions de francs par an jusqu’en 2015 pour répondre aux conditions d’un nouvel arrêté royal. Aujourd’hui, il apparaît dans le rapport des consultants Deloitte & Touche qu’à situation inchangée cette augmentation annuelle devrait être en réalité supérieure à… 1 milliard pour être en règle avec la loi. L’urgence, pour la RTBF, de se sortir de ce guêpier risque de la rendre assez nerveuse. Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que la vente de RMBI lui fasse montrer les crocs.

Jean-François Dumont

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