Bigfoot Junior met en scène un adolescent solitaire qui rencontre une créature géante couverte de poils, véritable mythe national américain. © SDP

Au nom du fils

Le relief est mort. Mais les réalisateurs Ben Stassen et Jérémie Degruson, bien vivants, poursuivent leurs aventures en 3D avec le familial Bigfoot Junior. Contradiction ?

C’est une façade toute moche, dans une rue guère plus avenante du bas de Forest, à Bruxelles, à quelques pas du Wiels. Mais sitôt entré, la magie se met à opérer. Nous sommes chez nWave Digital, dans l’antre de Ben Stassen. C’est ici que se crée, dans un espace moderne, convivial et bien aménagé, une des productions d’animation les plus spitantes à l’est de Hollywood. Ben Stassen est Belge et fier de l’être, même si ses rêves d’Amérique l’habitent. Avec son compère et coréalisateur Jérémie Degruson, il nous présente Bigfoot Junior, le successeur de Robinson Crusoé (2016), African Safari (2014), Le Manoir magique (2013), Sammy 2 (2012), Le Voyage extraordinaire de Samy (2010) et Fly Me To the Moon (2010), pour remonter la chronologie d’une belle aventure dans laquelle relief et images de synthèse furent d’emblée mis en avant.

Bigfoot Junior nous emmène aux Etats-Unis, sur les traces d’un grand mythe national américain : celui d’une créature géante et sauvage, hirsute et couverte de poils, qui hanterait certaines forêts un peu comme ailleurs l’abominable homme des neiges est soupçonné de rôder autour des hauts sommets. Fils orphelin d’un père scientifique, Adam est un adolescent solitaire, qui se découvre des pouvoirs spéciaux peut-être hérités de son paternel (à la Hulk, en plus sympa). Lequel n’est sans doute pas aussi mort qu’on le lui fait croire…

A l’heure de présenter ce spectacle familial moins percutant que Robinson Crusoé mais assez joliment troussé, Ben Stassen ne peut que revenir sur ses rapports avec l’Amérique, ce pays où les exploits de Disney, Pixar et Dreamworks font de l’animation une force majeure de l’industrie du film. Bigfoot Junior (Son of Bigfoot pour le public anglophone) s’inscrit en effet dans un cadre américain, avec highschool typique et suburbia non moins reconnaissable. Avec, toutefois, une référence belge et même forestoise, sous la forme d’une boîte à souvenirs, retrouvée par le jeune héros et qui porte sur son couvercle le nom  » Wielemans « , venu de la brasserie toute proche, monument classé et transformé en musée d’art contemporain : le Wiels…  » C’est une touche de belgitude dans un spectacle tout de même très américanisé ! « , s’exclame Jérémie Degruson.

On rit beaucoup d’un autre clin d’oeil très américain du film, celui qui introduit un personnage coiffé à la Donald Trump et d’un point d’intrigue majeur mettant en vedette la question des cheveux, dé- sormais inséparable de la présidence américaine !  » Il faut savoir que quand nous avons acheté le scénario voici trois ans, la première scène du film – que nous avons dû enlever parce qu’elle était trop chère – se déroulait à la Maison-Blanche, où le patron de HairCo (NDLR : l’homme à la toison blonde) débarque en hélicoptère pour rencontrer le président… qui est totalement chauve !  » Trump élu, Ben Stassen a trouvé regrettable d’avoir dû se priver d’une séquence qui aurait pu faire mouche et  » aller encore un peu plus loin que ce qu’on a maintenant.  »

Petites trouvailles

Dans le travail du tandem, tout est affaire de précision. Comme celle qui a présidé à la collaboration avec les membres du groupe Puggy pour la partie musicale.  » Non seulement la musique mais aussi toutes les paroles sont écrites sur la base de l’image « , explique Ben Stassen, qui révèle comment le band belge est entré dans le jeu.  » Nous étions en partenariat avec Studio Canal, propriété de Vivendi, qui possède aussi le label Universal Music Group. Vincent Bolloré, le patron de Vivendi, avait décrété que tout film produit par Studio Canal devrait utiliser la musique d’artistes UMG. Bon, en l’occurrence, on aurait pu tomber plus mal : UMG est la plus grande société au monde dans le domaine musical, leur catalogue est immense… Puggy est un groupe belge, et l’idée de travailler avec eux nous plaisait. Ni eux ni nous n’étions, au départ, demandeurs et ils ne devaient livrer que quelques chansons. Puis, nous avons voulu qu’ils fassent toute la musique, et ça s’est passé magnifiquement !  » Sachez néanmoins que le musicien jusque-là attitré de Ben Stassen, devenu référence jusqu’à Hollywood, est malgré tout présent dans Bigfoot Junior :  » C’est lui, signale Jérémie Degruson, qui joue le petit solo de guitare/banjo que fait Bigfoot sur l’instrument qu’il a lui-même fabriqué…  »

Autres trouvailles appréciables dans le film, les effets de  » relief sonore « , justifiés par les pouvoirs auditifs très spéciaux du jeune héros Adam.  » L’écholocalisation (1) est fascinante à mettre en images, mais c’est aussi extrêmement compliqué « , commente Ben Stassen. Et son coréalisateur d’évoquer  » de multiples expérimentations, dont des choses à la Matrix, avant de trouver la manière optimale de visualiser les ondes sonores, tantôt stridentes tantôt douces avec, par-dessus, un petit piano rajouté par Puggy…  »

2D 1/2

Parler avec les responsables de nWave, c’est parler relief, bien sûr. Leur art particulier en la matière ayant toujours brillé. Mais Ben Stassen a mis le frein à main…  » Il faut que les films puissent fonctionner en 2D car le relief s’effondre partout, sauf en Chine. On cherche donc des effets qui marchent bien aussi en 2D « , confie-t-il. Son compère Degruson prenant le relais pour préciser :  » Nous sommes devenus moins dogmatiques sur la 3D qui a fait notre réputation depuis le début, et qui était devenue intuitive dans notre travail. Il nous faut retrouver le sens de modes de narration plus classiques. Et travailler sur le rythme, qui s’est tellement accéléré entre Fly Me To the Moon – 500 plans dans le film et Bigfoot Junior qui en compte plus de 1 500 !  »

Ainsi donc, le relief serait-il en reflux ? Ben Stassen est catégorique :  » Il est mort ! Plus personne dans l’industrie du cinéma n’y voit un plus, commercialement parlant. Donc, à l’heure où nous parlons, il n’y a aucun film en train de se tourner en relief, en dehors de ceux de James Cameron (NDLR :Avatar 2) et de Peter Jackson (NDLR :Mortal Engines). Ce que vous voyez sortir comme films 3D sont des films 2D convertis de 2D à 3D en post-production… Le relief, c’est fini, parce que 99 % des films n’en valent pas la peine. C’est de la 2D et demie, les gens ne veulent pas payer plus pour voir ça, et ne veulent pas mettre de lunettes pour être quand même déçus ! Nous continuons à en faire malgré tout, car nous aimons proposer une vision immersive. Mais il n’y a plus qu’un seul marché important : la Chine. Nous sommes la seule firme au monde à avoir eu tous nos longs métrages distribués là-bas. Même Pixar et Dreamworks n’ont pas eu ce bonheur…  »

Et demain ? Le relief a-t-il encore un futur ?  » S’il y en a un, estime Ben Stassen, ce ne pourra être qu’en high frame rate, 48 ou 60 images par seconde (NDLR : pour 24 en projection normale). Mais il n’y aura que quatre ou cinq films par an, et il faudra faire équiper les salles au standard 4K. On ne demandera pas deux euros de plus comme maintenant mais cinq ou six, en comptant que les gens paient pour une expérience totalement différente. Mais cela se fera-t-il ou pas ? Avatar 2 (NDLR : sortie prévue en 2020) nous le dira.  »

L’avenir direct de nWave n’est pas pour autant menacé.  » Grâce au domaine des attractions qui font partie de notre modèle financier et qui devront toujours être en relief « , clame un Ben Stassen dont les courts films font fureur dans des parcs d’attractions un peu partout dans le monde.  » Il n’y aurait plus que la Chine à en demander que nous ferions encore du relief !  » conclut-il. C’est donc bel et bien en 3D que nous découvrirons, l’an prochain sans doute, The Queen’s Corgi, un nouveau long métrage très british et canin, mettant en scène… les chiens de la reine d’Angleterre.

(1) L’envoi de sons suivi de l’écoute de leur écho pour localiser un danger ou une proie (les chauves-souris et les cétacés l’utilisent notamment).

Par Louis Danvers

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