Au nom de la Torah

Ils sont jeunes, religieux et radicaux. Colons sauvages des collines de Cisjordanie, ils entendent bien rester malgré les décisions de la justice israélienne. Reportage.

Face à la grande ville palestinienne de Naplouse, sur une petite colline perdue dans les champs d’oliviers, se dresse Havat Gilad, un avant-poste de jeunes colons israéliens. Pas de panneau à l’entrée, pas même de route, juste un chemin de pierres qui mène à une trentaine de cabanes et de mobil-homes éparpillés çà et là, peints de couleurs vives, où les étrangers ne sont pas les bienvenus. Le temps s’est arrêté. Les jeunes hommes, le visage encadré de longues papillotes et la tête coiffée d’une large kippa en laine tricotée, occupent leurs journées en construisant des maisons de fortune, en travaillant la terre, en gardant les chèvres et en étudiant la Torah à la yeshiva. Yaël Shevar, institutrice dans une colonie voisine, y habite une maison cubique vert pomme, avec son mari et ses trois jeunes enfants.  » Nous sommes venus nous installer ici pour cette vie en communauté, sur notre terre, même si les conditions de vie ne sont pas faciles, explique la jeune femme, 26 ans, un large foulard mauve noué sur ses cheveux. L’Etat israélien s’acharne contre nous, considère que notre implantation est la plus dangereuse des avant-postes illégaux, alors la compagnie d’électricité refuse de nous amener le courant, et nous n’avons pas l’eau courante. On se débrouille avec un générateur pour 32 familles, et l’eau arrive par camion, deux fois par semaine.  » Dangereux, Havat Gilad ? L’endroit abrite, comme toute une série de colonies sauvages établies au c£ur de la Cisjordanie palestinienne, des  » jeunes des collines « , des adolescents et de jeunes adultes radicaux qui se sont affranchis des lois et des règles israéliennes, pour vivre un retour aux sources de la Bible. Ils seraient au total 5 000 jeunes à habiter les collines de  » Judée-Samarie  » – le terme utilisé par les colons israéliens pour désigner la Cisjordanie occupée. A leurs côtés gravitent aujourd’hui quelques centaines d’adolescents, circulant de colline en colline, dormant dans des  » tentes de célibataire  » ou dans les dortoirs-caravanes mis à disposition par les yeshivas.  » Les jeunes qui se baladent ici seraient des fous qui brûlent les mosquées et attaquent les Palestiniensà Je n’en sais rien, réplique Yaël. Mais je sais que je déteste les Arabes. C’est notre pays et je n’accepte pas qu’ils habitent là. « 

 » L’idée, c’est de construire, encore et encore « 

Dans le sud de la Cisjordanie, dans sa maison  » en dur  » d’Efrat, une colonie illégale aux yeux de la communauté internationale mais légale pour les autorités israéliennes, la militante d’extrême droite Nadia Matar apporte son aide à ces jeunes des collines.  » Ils sont idéalistes, ils sont formidables, mais ils ont été terriblement déçus. Ce mouvement a vraiment pris forme après l’expulsion des juifs de Gaza en 2005, raconte-t-elle. Ils avaient 10 à 12 ans à l’époque, et ils se sont sentis trahis. Ils veulent garder coûte que coûte la Judée-Samarie, et ont donc choisi de prendre possession des collines.  » Pour ces Israéliens issus des rangs nationalistes religieux, les vraies racines du peuple juif, la terre biblique, se trouvent à Jérusalem, Naplouse, Hébron et Bethléem,  » pas dans les discothèques de Tel-Aviv « .

Naviguant entre les colonies implantées le long de la route 60, Tiraël, 18 ans, a quitté sa famille il y a trois ans pour vivre sur une colline, à Ramat Migron, avant-poste que l’armée israélienne a plusieurs fois tenté de démolir. Le 21 août, c’est la colonie voisine de Migron qui doit être évacuée à la suite d’une décision de justice. Mais ces colons ne veulent toujours pas partir.  » J’ai grandi dans le Gush Etzion [NDLR : en Cisjordanie, au sud de Jérusalem], et la première fois que je suis allée sur une colline, j’avais 13 ans, raconte la jeune fille à la longue chevelure brune. C’était très fort, j’ai senti que la terre me parlait, qu’elle était vivante. Si on veut comprendre Dieu, il faut être proche de la terre. J’ai su que je devais vivre là-bas et j’ai fini par rejoindre le mouvement des jeunes des collines. L’idée, c’est de construire, encore et encore, bâtir sur notre terre, de nos mains, malgré le froid et la boue en hiver.  » Cette année, Tiraël effectue son service civil dans une colonie plus cossue.  » J’en suis contente, j’aime la loi. Mais la loi n’est pas juste lorsqu’elle nous interdit d’habiter et de construire sur notre terre. Ils ne nous laissent pas grandir, ils nous tapent sur la tête. Je peux comprendre la violence si on ne nous laisse rien faire : si la loi n’est pas légitime, alors on peut tout faire, et ça, c’est un problème.  » Pour Tiraël comme pour tous les jeunes des collines, la question palestinienne ne se pose pas.  » Ici, c’est notre terre, c’est si simple. Ce n’est pas une terre qu’on peut partager. Je ne sais pas où ils doivent aller, à eux de savoir où est leur place « , tranche-t-elle.

Retour à Havat Gilad et à la yeshiva, où le rabbin Arié Lipo enseigne auprès des jeunes les plus marginalisés. Il établit un parallèle entre les Palestiniens et le personnage biblique d’Ismaël, chassé par son père, Abraham.  » Longtemps, j’ai pensé que les Palestiniens pouvaient vivre en Israël s’ils respectaient les sept lois de Noé et reconnaissaient toute la terre de la Bible comme celle du peuple juif, se justifie le rabbin, à la forte carrure, à la longue barbe châtaine et aux papillotes emmêlées. Mais leur tentative d’obtenir un Etat en se tournant vers l’ONU a supprimé la possibilité qu’ils vivent ici. « 

La violence d’une minorité d’activistes dérange les colons

La démarche de l’Autorité palestinienne entamée en septem- bre 2011 pour représenter un Etat membre à part entière aux Nations unies s’est accompagnée d’une flambée de violences anti-Arabes en Cisjordanie. Les attaques de colons contre les Palestiniens ont progressé de 40 % en 2011 par rapport à 2010, selon les statistiques de novembre dernier du bureau des Nations unies pour les Affaires humanitaires, à Jérusalem. En 2011, près de 10 000 oliviers et arbres fruitiers appartenant à des Palestiniens ont été détruits ou abîmés. Plusieurs mosquées ont été incendiées en Cisjordanie et en Galilée, dans le nord d’Israël. Des agressions que les colons radicaux signent de l’inscription  » price tag «  ( » prix à payer « ), formule symbole d’une politique de représailles menée contre les Palestiniens afin de décourager l’armée israélienne de démanteler les avant-postes illégaux.

 » Ces jeunes sont des bêtes blessées, un membre de leur famille ou un ami a été tué par un Arabe, ils ont assisté à la démolition de leurs maisons par l’Etat d’Israël au nom d’une paix factice, allègue Arié Lipo. Ils savent que pour garder cette terre il faut savoir lutter. Qu’est-ce qui est le plus grave entre détruire une maison et couper un olivier qui repoussera ? « 

Au sein de l’ONG israélienne B’Tselem, qui défend les droits de l’homme dans les territoires occupés, la violence croissante de ces jeunes inquiète.  » La loi en Cisjordanie ne s’applique pas de la même manière pour les colons, soumis à la justice civile israélienne, et pour les Palestiniens, qui dépendent de la cour militaire, souligne la militante Sarit Michaeli. Les arrestations d’Israéliens restent extrêmement rares. D’autant que les soldats basés en Cisjordanie sont souvent, eux-mêmes, des colons. Les autorités n’ont pas détruit immédiatement les avant-postes, elles les ont laissés se développer, elles se sont mises à assurer leur protection. Alors, le message envoyé à ces jeunes, c’est qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent, en toute impunité. « 

La violence d’une minorité d’activistes dérange la majorité des 300 000 colons installés en Cisjordanie.  » Je suis contre toute violence exercée sur des innocents, c’est immoral et, surtout, c’est mauvais pour notre cause, affirme Dani Dayan, dirigeant pragmatique de la principale organisation de colons. La police doit agir plus fermement contre le price tag.  » Le député travailliste Daniel Bensimon va plus loin. Il demande au Shin Beth, les services de sécurité intérieure, de  » casser cette formation de jeunes rebelles fanatiques et anarchistes, qui ont développé une violence dangereuse contre l’Etat et contre l’armée « .

Israël a en effet perdu le contrôle de ceux qui se qualifient d' » héritiers au c£ur pur  » et qui opèrent en Cisjordanie comme en terrain libre. Certains font leur service militaire mais, parmi les plus radicaux, ils sont nombreux à ne plus s’y soumettre.  » L’armée, qui vient détruire nos maisons parce que nous n’avons pas les permis de construire, nous menace plus que les Arabes « , assène Yaël. Tout en démantelant ponctuellement quelques habitations, le gouvernement étudie désormais les moyens juridiques afin de légaliser, a posteriori, une série d’avant-postes bâtis sans autorisation sur des terres palestiniennes. –

De notre correspondante Véronique Chocron

 » La loi n’est pas juste lorsqu’elle nous interdit d’habiter et de construire sur nos terres « 

Israël a perdu le contrôle de ceux qui se qualifient d' » héritiers au c£ur pur « 

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