Au nom de l’enfant?

Le père risque-t-il de perdre son statut dans la famille s’il ne donne plus son patronyme à ses enfants? Des psys dénoncent une proposition de loi qui privilégierait le nom de la mère. Ils plaident pour le double nom

Le choix du nom de famille menace-t-il la fonction paternelle? Autrement dit, si le père ne transmet plus, d’office, son nom à l’enfant, aura-t-il davantage de difficultés à exercer son rôle de parent? A l’avenir, le patronyme pourrait en effet être concurrencé par le matronyme, voire par une combinaison des deux. C’est, en tout cas, le souhait de dix députées qui, en juin 2001, ont déposé une proposition de loi en ce sens ( lire ci-contre).

La réaction à cet élan féministe est venue des psychologues. Professeur à l’Institut d’études de la famille et de la sexualité (IEFS) à l’Université catholique de Louvain (UCL), Robert Steichen vient d’organiser un colloque sur le choix du patronyme.

Psychiatre et psychanalyste, il reconnaît qu’il ne peut y avoir de réponse univoque. « Mais, s’interroge-t-il, la liberté accordée aux parents ne va-t-elle pas accroître la fragilité d’enfants ou d’adolescents en crise d’identité, déstabilisés par la préférence donnée à l’un ou l’autre nom qui leur aura été donné? »

En réalité, l’initiative parlementaire interpellerait d’autant plus les chercheurs en sciences humaines qu’elle s’ajoute à d’autres. Les historiens constatent, en effet, que, depuis plus d’un demi-siècle, l’autorité paternelle et la référence au père s’amenuisent dans les discours, dans les pratiques sociales et dans la législation. « Or des carences, des excès et des dérapages de la fonction paternelle produisent des individus marginaux ou déviants par rapport à la normalité sociale », estime Steichen.

Comment en est-on arrivé là? « Nommer, c’est identifier, rappelle Marie-Thérèse Meulders, professeur émérite de droit à l’UCL. C’est une vieille coutume humaine que de dire qui est qui par rapport à qui et qui peut épouser qui, compte tenu du tabou de l’inceste. »

L’inversion

Mais il s’agit aussi d’un enjeu de pouvoir. Le système patronymique date du Moyen Age. Cette transmission du nom du père par le fils, au détriment de la fille et de la mère, est-il le dernier vestige de la toute-puissance paternelle?

Selon Antoine Casanova, historien à l’université de Franche-Comté, à Besançon, « la figure du père comme source de l’Autorité, comme image et reflet du Prince et de Dieu » remonte au IIIe millénaire avant Jésus-Christ, en Mésopotamie. Cette autorité va être sérieusement mise à mal, à la Révolution française. Honoré de Balzac écrira d’ailleurs: « En coupant la tête de Louis XVI, la République a coupé la tête à tous les pères de famille. » Plus tard, rappelle Françoise Hurstel, professeur de psychologie clinique à l’université Louis Pasteur, à Strasbourg, la loi a fait apparaître la notion de « père indigne », qui permet de le déchoir de sa « puissance paternelle ». Ensuite, le droit de « correction paternelle » est tombé en désuétude…

C’est toutefois au cours des trente dernières années que le mouvement se serait accéléré. « Au point que, dans les lois, le rapport de force entre les hommes et les femmes tend à s’inverser », relève Marie-Thérèse Meulders. La juriste de l’UCL en veut pour preuve l’établissement de la paternité hors mariage. En cas de concubinage, les lois d’un nombre croissant de pays soumettent la reconnaissance paternelle au consentement de la mère.

S’orienterait-on vers une société matriarcale qui justifierait le « malaise paternel »? Selon Patrick De Neuter, professeur à l’IEFS, beaucoup de psys enregistreraient, dans leur cabinet, « des difficultés pour que la parole du père soit entendue au sein des familles ». Psychanalyste, De Neuter cite un de ses illustres prédécesseurs, Jacques Lacan, qui avait prédit, dès 1938, le « déclin social de l’image du père ». Lacan faisait fréquemment référence au « nom-du-père » qu’il écrivait parfois le « non du père ». Selon la théorie psychanalytique, la fonction paternelle accentue la séparation entre le nouveau-né et la mère, tous deux étant pris dans un amour fusionnel. Le père rappelle ainsi l’interdit de l’inceste.

Cela reviendrait-il à dire que la disparition du patronyme condamnerait l’enfant à un huis clos étouffant? Bien sûr, « il ne suffit pas de donner au nouveau-né le nom du père pour qu’il soit suffisamment désaliéné de l’amour et du désir de la mère, reconnaît De Neuter. Mais on peut craindre que cette mise à l’écart symbolique du père entraîne, chez lui, une prise de distance et un désengagement encore plus grands que ceux qui existent déjà aujourd’hui chez certains pères. »

Conclusion: De Neuter plaide pour le double nom. Il n’est pas le seul. « En tant que femme, je suis sensible aux inégalités dont nous avons été les victimes, explique Marie-Thérèse Meulders. Mais si la maternité est certaine, la paternité ne l’est pas. Le père n’est relié à son enfant que par son nom. C’est leur cordon ombilical. Ce déséquilibre justifie non seulement le double nom, mais aussi que celui du père précède celui de la mère. »

Pour Marie-Thérèse Meulders, la liberté de choix des parents consacrera en outre l’inégalité des enfants devant la loi, puisque la règle ne sera désormais plus la même pour tout le monde. « Le jeune devrait au moins avoir la possibilité de changer de nom à la majorité, grâce à un système plus souple que celui en vigueur actuellement. »

Jongler

La juriste reconnaît toutefois que dans les pays de droit anglo-saxon, où l’état civil n’existe pas, c’est la coutume – et non la loi – qui régit la transmission du nom de famille. Les parents choisissent librement entre le patronyme, le matronyme, les deux accolés ou un autre nom composé à partir des syllabes de leurs deux noms, par exemple. Les enfants d’un même couple peuvent aussi porter des noms différents, sans qu’on ait décelé d’effets pathologiques particuliers. D’ailleurs, chez nous, les familles monoparentales ou recomposées dérogent également à la règle du nom du père et ont l’habitude de jongler avec différents patronymes ou matronymes.

En effet, « pourquoi des parents, capables du choix du prénom, ne pourraient-ils pas aussi choisir librement celui ou ceux de leurs noms qu’ils souhaitent transmettre à leurs enfants? se demande la députée Claudine Drion (Ecolo), l’une des auteurs de la proposition de loi aujourd’hui amendée et discutée. Nous voulons croire en la capacité de dialogue et de négociation des hommes et des femmes dans l’intérêt de leurs enfants. »

Dorothée Klein

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