Au lit, les grands!

Ils ne sont pas paresseux: ils sont fa-ti-gués. Plus souvent qu’on ne le croit, les adolescents connaissent des problèmes de sommeil. Avec de réelles répercussions sur leur vie quotidienne

« Alors, pas encore debout? » N’y comptez pas trop: nous sommes dimanche et, le nez sous les draps, nos adolescents tentent de rattraper les heures de sommeil en retard, accumulées pendant la semaine. Un gâchis? A nos yeux, peut-être. Mais, pour éviter de mal commencer la démarrer la journée, mieux vaut ne pas leur dire qu’en matière de repos les jeunes ont… tout faux.

« L’adolescence est une période de transformation et de grande vulnérabilité. Le sommeil est un élément important de cet équilibre précaire et menacé », explique Myriam Kerkhofs, psychologue au laboratoire du sommeil du CHU Vesale, à Montigny-le-Tilleul (1). Le manque de repos aurait des conséquences sur le comportement des ados (ils sont, par exemple, plus irritables), sur leurs apprentissages (y compris sportifs) et, donc, sur leurs résultats scolaires. Encore sous-estimé, ce dernier point ne fait pourtant aucun doute. Comme d’autres recherches, les travaux du Pr André Kahn menés sur des enfants prépubères de la Région bruxelloise, ou ceux réalisés en province de Luxembourg, ont mis en évidence un lien entre de faibles performances à l’école, un niveau socio-économique défavorisé et les mauvais dormeurs, c’est-à-dire ceux qui tardent à trouver le sommeil et se réveillent plusieurs fois pendant la nuit.

Diverses études internationales montrent que, dans 20 à 60 % des cas, les adolescents se plaignent de fatigue et d’hypersomnolence. De 10 à 40 % parlent de difficultés d’endormissement, de 6 à 39 %, de réveils nocturnes, et de 5 à 10 %, de cauchemars. En fait, si les prépubères passent dix heures par jour dans les bras de Morphée, vers 13 ans, ils ne consacrent que huit heures et demie à dormir, pour tomber à sept heures de sommeil vers 18 ans. Or les scientifiques sont formels: « Contrairement aux idées reçues, précise Myriam Kerkhofs, les adolescents n’ont pas besoin de moins de sommeil. Au contraire, plusieurs travaux indiquent que lorsqu’ils peuvent spontanément choisir leur heure de lever, ils dorment… dix heures par nuit. Les plaintes de fatigue et de somnolence, si fréquentes, peuvent donc résulter d’un manque chronique de sommeil, lié à des endormissements tardifs et à des heures de lever imposées par les horaires scolaires. »

Pourquoi ils ne vont pas au lit

Le désir d’indépendance, les envies de sortir, la volonté d’affirmer que l’on est « grand » n’expliquent pas, à eux-seuls, que les jeunes se couchent tard. « Ils traversent une période au cours de laquelle leur horloge biologique est probablement perturbée, explique la psychologue. On étudie l’hypothèse selon laquelle la sécrétion de mélatonine, l’hormone responsable de l’induction et de l’initiation du sommeil, chuterait au début de l’adolescence, au moment où d’autres hormones augmentent. » Ce facteur pourrait expliquer pourquoi, le soir, ils refusent d’aller au lit: tout simplement, ils n’ont pas sommeil. « Leur endormissement tardif et leur réveil matinal risquent cependant d’entraîner une somnolence diurne et persistante, due à leur dette chronique de sommeil. »

« Lorsque nous avons l’occasion d’expliquer cela aux professeurs ou aux parents, tout devient plus clair pour eux, assure le Dr José Groswasser, pédiatre et responsable de l’Unité du sommeil à l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola, à Bruxelles (HUDERF). Ils comprennent alors que les jeunes ne sont pas paresseux: ils sont fatigués. Ce qui est très différent. » La solution? Respecter davantage le besoin de sommeil des adolescents. « En réalité, on pourrait, sans dommage, intervertir les heures de rentrée à l’école des maternelles et des grands. Les premiers débuteraient à 8 heures… et les seconds à 9 h 30 », suggère Myriam Kerkohfs. Aux Etats-Unis et en Israël, diverses expériences menées en ce sens ont donné de bons résultats, y compris sur les prestations scolaires.

« Dormir jusqu’à midi, le dimanche, pour récupérer les heures de sommeil manquantes n’est pas une bonne stratégie, ajoute le Dr Groswasser. En effet, deux processus interfèrent dans le contrôle du sommeil. L’un répond au besoin de récupérer et permet d’avoir un sommeil plus profond dans la première partie de la nuit quand on est fatigué. L’autre est lié à notre horloge biologique. En dormant trop longtemps un jour ou deux par semaine, on risque de la dérégler. Ce phénomène peut survenir très rapidement et il est alors très difficile de revenir en arrière. » On conseille donc plutôt aux jeunes, même lorsqu’ils se sont couchés tard le vendredi ou le samedi, de se lever vers 10 heures. Et de se méfier des habitudes irrégulières prises pendant les vacances.

Les somnifères, une réponse inutile, sinon néfaste

« Toutes les fatigues et les plaintes liées à une dette chronique de sommeil devraient pouvoir trouver des solutions grâce à des règles d’hygiène de vie. Et pas avec des somnifères, rappelle aussi le Dr Groswasser. Certes facile, cette réponse est inutile, sinon néfaste la plupart du temps. Ainsi, les produits à base de benzodiazépine permettent de dormir, mais ils diminuent la qualité du sommeil. D’où le risque, durant la journée, de prendre des stimulants. » Dans l’étude menée par le Pr Kahn, 6 % des enfants recevaient de tels médicaments. « Les familles où les adultes prennent ce type de produit ont davantage tendance que les autres à les « partager » avec les jeunes mauvais dormeurs », remarque le Dr Groswasser.

Cela dit, toutes les plaintes de fatigue des adolescents ne relèvent pas toujours d’un manque chronique de sommeil. « Chez l’adolescent, la dépression peut ainsi s’accompagner de fatigue et d’hypersomnolence », remarque Myriam Kerkhofs. Dans certains cas, ces problèmes dissimulent aussi des pathologies qui pourront être révélées, entre autres, par divers tests dans des laboratoires spécialisés. C’est le cas, par exemple, pour les apnées, les parasomnies (des comportements étranges pendant le sommeil, tels le somnanbulisme, des terreurs nocturnes ou des mouvements répétés des membres inférieurs) ou la narcolepsie. « Cette dernière maladie est caractérisée par des accès de sommeil diurne auxquels on ne peut absolument pas résister et par une fatigue intense pendant la journée. Chez l’adulte, en cas d’émotions, elle provoque aussi des pertes brutales du tonus musculaire. Tout à coup, leurs muscles ne les portent plus. »

En Belgique, quelque 500 personnes souffriraient de narcolepsie, mais ce chiffre est probablement sous-évalué. En général, -et cet héritage est peut-être dû à une formation insuffisante des médecins au cours de leurs études – il faut environ quinze ans avant que le bon diagnostic ne soit posé. Souvent, des traitements inadaptés (contre l’épilepsie ou la dépression, par exemple) ont d’abord été prescrits.

Sommeil et prise de poids

Probablement liée à une cause génétique, la narcolepsie touche aussi les enfants. « Je viens de voir une fillette de 7 ans qui en était atteinte. Pour l’instant, elle parvient à ne pas dormir en classe. Mais dès son retour à la maison, elle s’endort et, si on la laisse, elle ne se réveille qu’au matin », raconte le pédiatre. Chez les enfants, la maladie apparaît souvent en même temps qu’une importante prise de poids. « Certains chiens, comme les labradors et les dobermans, peuvent souffrir de cette pathologie. Chez eux, on s’est aperçu qu’une anomalie génétique modifiait, dans le cerveau, des récepteurs d’une hormone, l’orexine. Or cette dernière commande le comportement alimentaire. Cette donnée doit cependant encore être vérifiée chez l’homme », détaille le Dr Groswasser.

Un traitement médicamenteux permet aux adultes et aux enfants concernés de lutter efficacement contre les accès irrésistibles de sommeil. « Il est remboursé partout en Europe, mais pas en Belgique, déplore le pédiatre. Il coûte de 150 à 223 euros par mois » (2). Le prix à payer pour éviter à certains gosses un très probable décrochage scolaire qui n’aurait qu’une seule cause: leur fatigue?

(1) Propos tenus lors du troisième symposium de la médecine des adolescents, organisé par l’hôpital uniersitaire des enfants Reine Fabiola et le réseau de médecine de l’enfant Iris.

(2) Jusqu’à présent, la firme qui distribue ce produit en Belgique a pris en charge les sept enfants soignés pour narcolepsie à l’HUDERF.

Pascale Gruber

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