Au feu, les pompiers !

Chauds, les cours, et dévastateurs, les désirs qui les ravagent ! Dans une mise en scène carbonisée, les héros d’Orlando (de Händel) s’en remettent à peine, à la Monnaie…

Orlando aime Angelica qui aime Medoro qui est aimé de Dorinda, mais sans réciprocité. Voilà une chaîne qui annonce bien des sanglots. Car la règle est simple, implacable, universelle : il faut être deux pour chérir ensemble. La terrible déconvenue de se trouver épris sans retour ne laisse, depuis la nuit des temps, qu’une seule alternative à celle ou celui qui ne suscite qu’indifférence : accepter son sort ou devenir zinzin.

La pastourelle Dorinda, bonne fille de ferme, s’accommode de cette désagréable réalité. Orlando, monstre de douleur, sombre, lui, dans une dinguerie vengeresse… Enraciné dans l’ Orlando furioso de l’Arioste, magnifique poème épique de 46 chants publié à Venise en 1516, ce thème de la folie-induite-parce-que-j’échoue-à-charmer a inspiré nombre d’artistes lyriques : parmi eux, Lully, Vivaldi et George Friedrich Händel, dont l’ Orlando, créé à Londres en 1733 et monté pour la première fois à la Monnaie, est un vrai bijou magique, qui fait se dodeliner les têtes en mesure, ou tapoter les doigts, d’un bout à l’autre de l’opéra. Confiée à la baguette du chef gantois René Jacobs placé à la tête du Baroque Orchestra B’Rock (une vingtaine de jeunes as de la viole, du luth, du théorbe ou du clavecin), dotée d’un cast absolument féerique – le contreténor américain Bejun Mehta (sublime Orlando à fleur de peau), les sopranos belge Sophie Karthäuser (Angelica de rêve) et coréenne Sunhae Im (intelligente Dorinda) ! -, l’£uvre du compositeur allemand naturalisé britannique est un must : de l’or liquide qui coule des instruments anciens vers nos oreilles modernes, pour les ravir et les incendier à la fois.

Des planches du Brico

Car de la combustion, il en est beaucoup question. Orlando se consume. Angelica s’embrase. Dorinda brûle d’amour. Et il a plu au metteur en scène (et directeur du Nederlandse Opera) Pierre Audi de filer la métaphore des flammes à tout berzingue. Au premier acte, dans le décor fuligineux d’une charpente calcinée, Orlando mène une brigade de pompiers. Au deuxième acte, exit des hommes du feu : ne restent que des poutres noircies, et des passerelles sur pilotis entre lesquelles flamboient des braises. Le troisième acte, très  » Mr Brico « , montre une bâtisse en construction, une bétonnière et des tas de planches en bois. Chacun de ces actes s’ouvre par une projection d’images sur écran géant : des séquences répétitives de bûchers et d’un Orlando rôdeur, censées souffler aux spectateurs, mais in extremis, que ce dernier est le pyromane de service.  » La vidéo permet de déconstruire l’histoire, en imaginant certaines parties comme des flash-back et d’autres, comme des flash-forward « , explique Audi dans ses notes d’intention. Pas clair. Et sans doute superflu. Même si les rares actions d’Orlando rendent l’ouvrage assez statique – le suspense en est totalement absent -, il se trouve assez de psychologie et de philosophie au c£ur même des personnages (surtout lorsqu’ils sont joués par des solistes aussi talentueux) pour faire de cet opéra mystique un pur chef-d’£uvre. La représentation musicale de la folie, très en vogue dès la fin du XVIIe siècle, continue notamment à surprendre le public par ses ruptures de style assez burlesques : dans la grande scène où le héros perd la raison, Orlando enchaîne récitatifs, arioso, chaconne et gavotte, un peu comme s’il se trompait d’époque. La nôtre, toutefois, ne devrait que se réjouir d’avoir le bonheur d’écouter une telle fascinante démence…

Orlando, à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 11 mai. www.lamonnaie.be

VALÉRIE COLIN

Des vidéos d’un Orlando rôdeur, censées souffler aux spectateurs qu’il est le pyromane de service

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