Au canular refugreenergy

En ce dernier jour de septembre, il pleut sur les passants qui déambulent à Bruxelles, entre la Grand-Place et la Bourse. Sous une tonnelle bleue, un vélo a été fixé sur quelques mètres carrés de gazon artificiel. Il est relié par des câbles à trois batteries. Les batteries sont alimentées en pédalant. De zélés apôtres en tee-shirt blanc partent à la rencontre des badauds. Ils portent – en français, anglais, espagnol… – la bonne parole de Refugreenergy, une start-up qui veut produire de l’électricité verte tout en donnant 24 heures de légalité aux migrants sans papiers. Le principe ? Les réfugiés pédalent, livrent l’électricité partout dans Bruxelles et gagnent un peu d’argent et de sursis.

Une fille aux longs cheveux châtains se présente aux passants : Sylvie Lenoir. Elle fait une thèse postdoctorale en écologie. Elle énumère les avantages de Refugreenergy : l’électricité est verte, les sans-papiers sont un peu plus légaux. Les interlocuteurs commencent par trouver l’initiative ingénieuse. Des noms belges, français, serbes, américains garnissent rapidement le formulaire d’inscription à la mailing list.

Combien seront payés les réfugiés, demande quelqu’un ? Un euro soixante. Par jour.  » C’est généreux. Nous sommes au-dessus du prix du marché pour l’électricité. Nous ne serons pas rentables avant plusieurs années.  » Ce montant est un grain de sable. Il fige les sourires.  » C’est scandaleux, voyons !  » Un grand Noir s’emporte et sa voix porte. Les réfugiés ont traversé des épreuves inimaginables pour arriver ici, ce n’est pas pour devenir des forçats de la pédale.

Pendant qu’il proteste, Noël Godin, spécialiste des coups fourrés (à la crème fraîche), regarde la scène de loin. Le CEO de la start-up prend une grande respiration et le micro :  » En fait, c’est une blague.  » L’homme énervé lui tombe dans les bras. Si Noël Godin est là, c’est pour applaudir une action d’art vivant dans la ville qui accueille le festival Signal, organisé par le Cifas (Centre international de formation en arts du spectacle).

Sylvie ? C’est une comédienne. Le vélo ? Un Villo bardé d’autocollants. Les batteries ? Des boîtiers d’ordinateurs. L’idée est née dans un débat démocratique l’après-midi du 27 septembre. Site Web, logo, vélo, batterie : tout devait être prêt le 30 à 14 heures. Plusieurs équipes se sont réparti les tâches : fabriquer les objets supports du canular, créer un logo, monter une vidéo publicitaire, mettre le site en ligne, etc. Cette mascarade a été élaborée pendant une résidence artistique, à la Fabrique de théâtre à Frameries. L’équipe est constituée de comédiens qui ont répondu à un appel à projets. A la baguette : le duo des Yes Men, les spécialistes américains des canulars à message (voir Le Vif/L’Express du 29 septembre). Refugreenergy est au confluent de trois envies : parler de l’anthropocène (ère géologique caractérisée par l’impact de l’homme sur son environnement), sensibiliser au problème des réfugiés menacés de rafle dans le parc Maximilien et l’uberisation de la société.

Lundi 2 octobre, sur levif.be, nous publions un article informant de l’initiative, sans dévoiler sa vraie nature. Les consultations se succèdent. Le 3, un  » communiqué officiel  » est lancé. Le 4, un autre annonce qu’il s’agit d’un canular. Et nous publions un deuxième article, rédigé depuis l’avant-veille, expliquant les coulisses. L’histoire d’une fake news imaginée pour provoquer de vraies solutions.

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