Attention, fragile

L’écurie Prost disparaît. Toyota arrive. Renault revient. A terme, le poids de plus en plus prépondérant des grands constructeurs ne fragilisera-t-il pas la formule 1 ?

La saison 2002 de formule 1 se déroulera sans l’écurie Prost Grand Prix. Celle-ci a, en effet, été mise en liquidation le 28 janvier dernier par le tribunal de commerce de Versailles. La faute à son quadruple champion du monde de patron ? En partie. Devant les journalistes, Alain Prost n’a jamais pu s’empêcher d’y aller de quelques critiques bien senties à l’adresse de ses partenaires industriels. Cette façon de régler ses problèmes lui ayant assez bien réussi du temps où son talent de pilote suffisait à lui faire pardonner beaucoup, le Français semble en avoir sous-estimé les effets négatifs. En tant que patron, il a probablement poussé le bouchon un peu loin en s’en prenant à ses motoristes: Honda en 1997 et surtout Peugeot durant les trois années suivantes.

Résultat: le constructeur au lion a tenté de négocier sa sortie avant terme et ne s’est finalement résolu à honorer son contrat jusqu’à l’échéance prévue, en 2000, qu’au prix d’une révision à la baisse de ses investissements. Prost a évidemment essayé de mettre à profit ce répit pour convaincre d’autres marques automobiles. En vain. Toutes ont décliné l’invitation, à commencer par Renault et Honda, qui ont préféré ne pas prendre le risque d’avoir à faire, à nouveau, les frais de déclarations publiques de l’ancien champion du monde. En désespoir de cause, celui à qui on n’avait jamais refusé grand-chose jusqu’alors a dû se rabattre, pour la saison 2001, sur l’avant-dernière version d’un moteur Ferrari loué au prix fort.

De plus, entre-temps, il avait également fallu remplacer la plupart des annonceurs qui avaient ajusté leur stratégie en fonction de la rupture avec Peugeot. Le cycle infernal était lancé. L’écurie de Guyancourt, dans la banlieue parisienne, ne s’en relèvera pas. En fait, si Prost Grand Prix s’en va au moment où Toyota arrive et où Renault revient, ce n’est sans doute pas par hasard. Cette simultanéité montre que la conjoncture de la formule 1 handicape de plus en plus les équipes privées du soutien d’un grand constructeur. « La principale évolution de la formule 1 renvoie, en effet, à cette disparition des petits artisans au profit des grands constructeurs, confirme Patrick Faure, PDG de Renault F1. Les budgets se chiffrent évidemment en conséquence. En fait, on assiste, sur la piste, à une prolongation de la guerre commerciale existant sur le terrain. »

Parmi les onze écuries du plateau ( voir l’infographie), elles ne sont plus que deux à faire de la résistance. Malgré le renfort, il y a un peu plus d’un an, du richissime homme d’affaires australien Paul Stoddart, European Minardi n’en finit pas de végéter en fond de grille. Seul Sauber Petronas semble donc jouer encore d’une manière un peu convaincante le rôle de David contre les Goliath. Forte de ses gros capitaux en provenance de Malaisie, la formation suisse fait d’ailleurs beaucoup mieux que limiter les dégâts, en s’offrant sans trop de difficultés le moteur Ferrari de l’année précédente et le service technique qui l’accompagne.

Y a-t-il, dès lors, des raisons de s’inquiéter ? « Pas fondamentalement, estime Faure. Car l’explosion de la mondialisation se traduira pour les entreprises par un besoin grandissant de développer leur image de marque dans le monde. » Il reste que la catégorie reine du sport automobile est plus fragile qu’il n’y paraît. En effet, l’affaire Prost pourrait indiquer qu’elle a fait le plein de constructeurs. Même si elles devaient se vérifier, les rumeurs de reprise des actifs de Prost Grand Prix par Renault – qui envisagerait alors de monter un « Junior Team » – ne changeraient rien au constat suivant: mis à part le cas hypothétique du groupe VAG (via Audi), aucune grande marque ne semble en mesure de rejoindre le petit monde de la formule 1.

Par ailleurs, il serait naïf de penser que Fiat (maison mère de Ferrari), Mercedes (avec McLaren), BMW (avec Williams), Honda (avec BAR et Jordan), Renault, Ford (propriétaire de Jaguar et, depuis peu, allié à Arrows) et Toyota feront tous preuve d’une fidélité absolue. Parmi les plus performants d’entre eux, certains estimeront n’avoir plus rien à prouver d’ici à quelques années. Quant à d’autres, ils se lasseront, à moyen terme, de payer très cher le rôle de faire-valoir. Il y a donc des questions à se poser, d’autant que les cigarettiers seront interdits de publicité en formule 1 à partir de 2006. « Il sera en effet difficile aux constructeurs de compenser ce manque à gagner », reconnaît Faure. Alors, une diminution des coûts de la formule 1 ? « Ce serait opportun, estime Faure, mais pas très réaliste. L’expérience montre qu’en cette discipline on réduit peu les coûts, et jamais longtemps. »

Reste une porte de sortie: celle des droits de retransmission télévisée. Actuellement, le groupe allemand Kirch Gruppe détient 75 % de ces droits. Mais ses grosses difficultés financières l’ont rendu vulnérable face aux constructeurs au moment où ces derniers souhaitent s’approprier une plus grande part de ces droits. Dans ce cas, leur investissement ne serait qu’un prêté pour un rendu. « Nous voulons effectivement qu’à l’avenir les bénéfices de ces retransmissions soient mieux répartis à notre profit », conclut le PDG de Renault. Les discussions sont ouvertes.

Christophe Engels

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