Athlétisme

Depuis un an, la Belgique dispose enfin, à Gand, d’une piste couverte permanente. En revanche, en Communauté française, les projets sommeillent encore dans les cartons. Mais de nouvelles dynamiques viennent, cette fois, du monde des athlètes

Du 9 au 11 mars, Lisbonne accueillera les championnats du monde d’athlétisme en salle. Depuis un an, la Belgique s’enorgueillit également d’une piste couverte permanente. Il était temps. Notre pays restait, en effet, l’un des seuls d’Europe à ne pas disposer de telles installations. Cette situation pitoyable a, jusqu’en 1988, obligé la LRBA (Ligue royale belge d’athlétisme) à organiser ses championnats nationaux en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas, avant de louer un hangar sur le site du complexe de Flander’s Expo pour y monter, chaque hiver, un anneau amovible.

Finis, donc, les exodes qui frisaient le ridicule et les bricolages de fortune. Désormais, le Vlaanderen Topsporthal dresse fièrement sa silhouette dans la banlieue gantoise. Ce petit bijou, fraîchement posé dans l’écrin du parc sportif de Blaasmeren, a même déjà connu ses heures de gloire. En mars 2000, quelques semaines seulement après son inauguration, il hébergeait les meilleurs athlètes du Vieux Continent, à l’occasion des championnats d’Europe en salle.

En Communauté française, en revanche, c’est toujours le désert. Ce ne sont pourtant pas les projets qui ont manqué. Régulièrement, au cours des vingt dernières années, de belles esquisses ont fleuri, à Ciney, à Wavre, à Jambes, à Charleroi et à Bruxelles notamment, engloutissant un paquet de millions de francs, rien qu’en études de faisabilité et en honoraires d’architectes. Turbulences politiques, conflits d’intérêts, querelles d’influences ou limites budgétaires ont fait que les projets sommeillent toujours dans les cartons. Du côté de la direction technique de la LBFA (Ligue belge francophone d’athlétisme), on ne désespère toutefois pas de pouvoir, un jour, dépasser le stade des bonnes intentions. D’autant que, dans le milieu, certains ont décidé de secouer le cocotier et essaient d’initier de nouvelles dynamiques.

C’est la cas de Jean-Pol Bruwier. A 30 ans, ce jeune retraité des pistes, ancien champion de Belgique du 400 mètres haies, participant aux Jeux olympiques d’Atlanta en 1996, a pointé du doigt le manque flagrant d’intérêt des autorités publiques francophones envers le sport de haut niveau et, corollaire inévitable, l’insigne faiblesse des investissements consentis en faveur de celui-ci. Ce choix délibéré de nos éminences a mené, aujourd’hui, à quelques constats pour le moins édifiants. Une récente étude du Crisp (Centre de recherche et d’information sociopolitiques) sur les politiques du sport en Belgique fédérale livre effectivement des chiffres qui interpellent. Entre autres, la faible proportion (4 sur 28) de médailles olympiques décrochées par les sélectionnés francophones aux J.O. depuis 1976.

Dans notre pays, qui n’est déjà guère cité en exemple pour la bonne santé de son sport d’élite, un véritable abîme s’est creusé, au fil des dernières années, entre les champions du Nord et ceux du Sud. « Ma réflexion m’a conduit à rédiger une pétition à l’intention des instances dirigeantes de la Communauté Wallonie-Bruxelles, explique Bruwier. Ce document dénonce l’éparpillement des énergies et des fonds. Il suggère notamment une centralisation des forces vives du sport de haut niveau et une utilisation plus rationnelle des budgets. Il propose la création de synergies permettant de concentrer, en un même lieu, les sièges des différentes fédérations, des installations sportives de qualité qui pourraient accueillir jeunes espoirs et talents confirmés, des structures d’accompagnement médical (assistance, laboratoires de tests, etc.), paramédical, social et juridique, d’un centre de formation pour entraîneurs, à l’image des instituts nationaux des sports que l’on retrouve dans la plupart des pays européens, et dont l’Insep, à Paris, constitue sans doute le plus remarquable exemple. »

Il est évident que ce projet colossal, qui prévoit également la mise en place de liens de collaboration étroits avec les universités francophones, dans le cadre de la recherche et des innovations en matière de sport, pourrait en outre se nourrir de concepts déjà existants, tout en offrant à celles-ci davantage de moyens et d’envergure. On pense notamment aux multiples programmes de sport-études et, plus particulièrement, au Centre de formation des espoirs sportifs (CFES), créé en 1999 à l’initiative du ministre William Ancion (PSC), qui a pour objectif de faire bénéficier d’une préparation et d’un encadrement sportifs de haut niveau certains jeunes éléments prometteurs, âgés de 14 à 18 ans, tout en préservant leur parcours scolaire. Ceux-ci sont sélectionnés par les cinq fédérations qui adhèrent actuellement à cette initiative et ils sont regroupés dans les centres Adeps du Sart Tilman, à Liège (badminton, judo et rugby), et de Jambes (athlétisme et volley-ball).

Paraphée par de nombreuses personnalités du monde sportif belge, parmi lesquelles Jean-Michel Saive, Dominique Monami, Robert Waseige et Marisabelle Lomba, la pétition a été adressée, il y a quelques semaines, à Rudy Demotte (PS), ministre des Sports de la Communauté française. Celui-ci s’est dit séduit par le projet et a, dans la foulée, accordé une entrevue à son auteur. « Il m’a éclairé sur certaines limites de ses prérogatives, poursuit l’ancien athlète, et entre autres sur son incapacité à peser de manière directive sur les orientations de politique sportive choisies par les fédérations. Le ministre m’a néanmoins encouragé à poursuivre dans ma démarche et à affiner certains aspects de mon dossier. »

Le volet financier figure, on s’en serait douté, en bonne place parmi ceux-ci et Demotte a, d’entrée de jeu, pris soin de poser ses balises budgétaires. Il est, bien sûr, hors de question que la Communauté française, perpétuellement dans le rouge, supporte seule les coûts – 1 milliard de francs au minimum- , que représenterait la concrétisation du projet brut. Toutefois, la formule alternative d’aménager et de développer le centre autour d’infrastructures déjà partiellement existantes permettrait d’alléger sensiblement l’addition. Après un survol complet du paysage sportif francophone, Bruwier a retenu deux sites qui pourraient convenir dans le cadre de cette option : ceux de La Garenne, à Charleroi, et de Naimette-Xhovémont, à Liège. Dans les deux cas, il resterait cependant encore quelque 500 millions de francs à rassembler.

Pour que le rêve puisse se ménager une toute petite chance de devenir réalité, il faudrait donc que Communauté, Région, Province, Ville et partenaires privés s’entendent pour délier ensemble les cordons de la bourse. En fait, il y a fort à parier que le montage financier relève du casse-tête insoluble. Néanmoins, même si le projet trébuche sur l’obstacle pécuniaire et ne voit malheureusement jamais le jour, il aura quand même permis de mettre en lumière la situation alarmante du sport d’élite dans la Belgique francophone et contribué à secouer les consciences ainsi qu’à fustiger l’immobilisme. Quant à l’initiateur, dont le concept a probablement comme défaut principal d’être encore trop ambitieux pour les mentalités actuelles, il déclare déjà, un tantinet fataliste : « Si cela échoue, on ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir essayé. »

Michel Zimmermann

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire