» Assez de dramatisation sur les pensions ! « 

En période de vaches grasses, l’avenir des retraites s’annonçait déjà délicat. La crise le rend périlleux. Marie Arena (PS), ministre des Pensions, cloue le bec aux oiseaux de mauvais augure. Et savoure la revanche de la pension légale sur des piliers complémentaires soudain moins robustes. Interview.

Le Vif/L’Express : La crise aidant, la FEB, organisation patronale, par la voix de son directeur général Pieter Timmermans, retape sur le clou : sans réforme radicale, les pensions seront impayables. Info ou intox ?

Marie Arena : Intox. On est dans le registre de la provocation. Nous n’avons pas attendu la crise pour anticiper, sans tabous, le défi du vieillissement dans le cadre de la Conférence nationale des pensions ( NDLR : la publication de ses travaux est prévue pour septembre). Ce que veut Pieter Timmermans ? Eviter que les entreprises paient la crise, en la faisant payer aux travailleurs et à ceux qui ont travaillé ! Aujourd’hui, il brandit le problème des pensions. Demain, ce sera le tour des soins de santé. Et après-demain, les fonctionnaires. Cela devient fatigant.

Travailler plus longtemps, augmenter l’âge de la retraite, lier en partie les pensions à l’espérance de vie : ces solutions du banc patronal ne relèvent-elles pas du bon sens ?

C’est avant 65 ans que se pose le problème. Et les entreprises en portent la première responsabilité. Tous ces travailleurs de plus de 55 ans n’offrent plus d’intérêt pour beaucoup de ces entreprises. Parce qu’ils coûtent trop cher, qu’ils sont moins malléables. Si les employeurs n’incitent pas ces travailleurs à rester au boulot, comment augmenter le taux d’emploi des 55-65 ans ? Pas étonnant que le bonus pension, destiné à encourager les plus de 62 ans à garder leur emploi jusqu’à 65 ans, ne fonctionne pas : les gens ont décroché avant !

Comment imaginer que le  » trou noir  » dans lequel vont plonger les finances publiques pour plusieurs années, laissera indemne le financement des pensions légales ?

Arrêtons le catastrophisme ! Actuellement, secteur public compris, les pensions représentent 8,8 % du PIB. Elles représenteront 9,5 % du PIB en 2013, et 12,3 % en 2030. Entre 2013 et 2030, quand le papy-boom fera sentir ses effets ( NDLR : l’impact du baby-boom de l’après-guerre), l’effort à réaliser sera équivalent à 2,8 % du PIB. Soit de l’ordre de 10 milliards d’euros sur la période concernée. Cette somme ne se trouve pas sous le pied d’un arbre, je suis d’accord. Un effort sera nécessaire, mais il ne sera pas insurmontable. On en a fait d’autres dans le passé. On peut aller chercher les moyens là où ils sont. Des pistes existent pour alimenter le financement de la sécurité sociale, comme l’augmentation du nombre de cotisants via une hausse du taux d’emploi, ou une fiscalité plus juste. J’entends aussi que la fraude fiscale tournerait autour des 30 milliards, dont 10 milliards récupérables…

Avant même la crise, quand la conjoncture budgétaire était favorable, le Fonds de vieillissement n’était déjà plus alimenté comme prévu. On voit mal comment il pourrait l’être à l’avenir ? Un leurre, ce fonds ?

Il pèse tout de même 17 milliards d’euros, pour une valorisation estimée à 21 milliards. Ce n’est pas de l’argent qui dort, mais qui s’autoalimente par les intérêts et que l’on s’interdit de dépenser. Ce qui permet à l’Etat de se désendetter. C’est cela, sa principale utilité : cette garantie de désendettement de l’Etat offre la meilleure garantie de payer les futures pensions.

La tentation de privatiser davantage les pensions, sous prétexte qu’elles seront impayables par les finances publiques, n’est donc pas de mise ?

Cette crise ne fait au contraire que réhabiliter la pension légale. Seul l’Etat a la possibilité d’assumer cette mission. Mais certains, particulièrement le banc patronal, ont intérêt à dramatiser. Le but est de casser le système collectif pour aller vers un système individuel, beaucoup moins équitable. Car les deuxième ( NDLR : assurances de groupe et fonds de pension) et troisième piliers ( NDLR : épargne-pension) ne concernent que la partie de la population active aux revenus les plus importants.

Parmi ces piliers de pensions complémentaires, un certain nombre de fonds de pension affichent des signes de faiblesse : leur valeur a chuté davantage que la moyenne européenne selon l’OCDE, leur taux de couverture est au plus bas depuis 1991. Quatre fonds belges sur 10 ont même un taux de couverture inférieur à 100 %, car ils sont insuffisamment financés. Inquiétant ?

La CBFA (Commission bancaire, financière et des assurances) est intervenue dans 50 % des fonds de pension pour une perte d’actifs estimée à 20,5 %. Les deuxième et troisième piliers ont joué en Bourse : et quand la Bourse perd, vous perdez. C’est la réalité. La CBFA a donc allumé des signaux, mais ne signale pas de situation défaillante.

Quel crédit accorder au message rassurant d’un organisme critiqué pour son immobilisme à la veille du naufrage bancaire ? Le même langage était tenu vis-à-vis des banques avant qu’elles ne sombrent : pas de problèmes de liquidités !

( Sourire en coin.) Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème. Mais il est différent. Dans le cas des fonds de pension, on ne peut pas retirer son capital avant 60 ans, ce qui est de nature à éviter tout mouvement de panique. La CBFA subit des critiques, fondées ou non : je ne vais pas tirer sur l’ambulance. A ce stade, je n’ai de toute façon pas d’autre outil de régulation que celui-là.

En cas de défaillance des fonds de pension, qui devrait combler les pertes ?

Les employeurs doivent réalimenter les fonds de pension. Des mécanismes correcteurs permettent de les renflouer. J’ose espérer que la gestion paritaire (syndicats-patrons) de ces fonds et les règles prudentielles permettront de redresser la situation. C’est le sens des plans de redressement imposés par la CBFA. Avant une faillite, on peut valoriser tous les actifs. Et le bénéficiaire du fonds de pension est le créancier prioritaire. Mais la régulation de ce secteur sera sur la table de la Conférence nationale des pensions.

Pas d’inquiétude à court terme, dites-vous. Pouvez-vous être aussi affirmative pour le moyen terme ? Le papy-boom qui se profile à partir de 2010, c’est déjà demain…

Si tous les affiliés avaient aujourd’hui 60 ans, on aurait un grave problème. Mais ce n’est évidemment pas le cas. Le paiement est à échéances étalées. Si la crise devait perdurer longtemps, accompagnée d’une crise immobilière, on serait mal. Mais cela vaudrait aussi pour les assurances de groupe ( NDLR : elles représentent 74 % du deuxième pilier, pour 26 % aux fonds de pension), qui ne présentent pas de problèmes. Leur profil d’investissement est différent d’un fonds de pension, et l’assureur qui intervient doit couvrir continuellement 100 % du risque. Je ne parle pas du troisième pilier, l’épargne-pension : ce n’est pas de la retraite, c’est de l’épargne. C’est un produit bancaire.

La charge des pensions et de l’intégration sociale après le fardeau de l’enseignement et le poids du décret Inscriptions : votre reconversion vous plaît ?

Un peu moins de visibilité médiatique n’est pas pour me déplaire. Pour une économiste de formation comme moi, je me sens bien dans la gestion des pensions. C’est un vrai enjeu, à la fois social et économique. Mais l’enseignement, on le regrette toujours, c’est clair…

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

 » Le tunnel entre 2013 et 2030 sera étroit, mais on le passera « 

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