Arts et hussards

De Nimier à Truffaut, cet hebdo a réuni, dans les années 1950, la fine fleur de l’impertinence. Anthologie.

Quel casting ! Roger Nimier, François Truffaut, Boris Vian, Ionesco, mais aussi Alexandre Vialatte, Jacques Laurent, Jean d’Ormesson, et encore Philippe Sollers, Georges Perec, Antoine Blondinà On a quelque peu oublié le nom de l’hebdomadaire qui a réussi le tour de force de réunir, quelque part dans les années 1950, toutes ces plumes. Il s’appelait Arts. Un éditeur a aujourd’hui la bonne idée de nous proposer une riche anthologie de ce creuset de l’impertinence, successivement dirigé par Jacques Laurent (il racheta même le titre avec les royalties de ses Caroline chérie) et Roger Nimier.

Ce qui frappe d’emblée, vu de notre xxie siècle, c’est la virulence du ton. Arts flingue à tout-va. Mais toujours avec élégance. Même la  » nécro  » de Camus, écrite par Nimier dans les minutes qui suivent le drame, n’échappe pas à la règle. Le hussard y vilipende sa littérature pour  » scouts  » :  » Que le souci moral lui fût essentiel, que le besoin philosophique fût d’époque, nous le savions ; et nous regrettions de retrouver ces vertus installées sur les genoux du conformisme. « 

François Truffaut n’est guère plus tendre avec ses aînés du 7e art. Il mène une véritable croisade contre Autant-Lara,  » faux martyr « ,  » cinéaste bourgeois  » et  » opportuniste passé maître dans les effets de manche « . Quelques pages plus loin, c’est Matthieu Galey qui dénonce  » Saint-Germain des Prix  » ou Ionesco qui s’en prend avec une violence un peu disproportionnée à Gilbert Bécaud, sa voix  » visqueuse  » et sa bouche  » gluante « …

Des réprouvés qui sentaient le soufre

Mais l’auteur de Nathalie n’est pas, on s’en doute, l’ennemi principal des trublions réunis sous l’élégante bannière jaune d’Arts. On ne comprend rien à cette aventure si l’on oublie qu’en face règnent en maîtres Sartre et Les Temps modernes d’un côté, François Mauriac et son Bloc-Notes de L’Express de l’autre. A grands coups de maillet impertinents, la  » bande à Nimier  » va enfoncer un coin entre les dissertations existentialistes du premier et les leçons de morale du second, tout en rameutant dans ses colonnes des réprouvés qui sentent le soufre : Paul Morand, Jean Giono (qui suivra le procès Dominici pour Arts), Marcel Jouhandeau…

Mais tous ces jeunes gens plutôt à droite aiment trop la littérature pour céder à une ligne politique dogmatique. Dans les minuscules locaux de l’hebdomadaire, le SFIO Paul Guimard croise le monarchiste Jacques Perret, le futur maoïste Sollers, le sympathisant OAS Jacques Laurent. On regrettera d’ailleurs, au passage, que cette excellente anthologie ne soit pas accompagnée d’une histoire un peu fouillée de cette équipée journalistique hors normes.

Reste évidemment une dernière question : ces textes ont-ils bien vieilli ? Il faut l’avouer : assez inégalement. Cette France de Maurice Thorez et de Christian-Jaque nous apparaît parfois un peu dépassée. Et l’insolence des hussards, si salutaire à l’époque, est devenue le nouveau conformisme de la société du spectacleà

Arts. La culture de la provocation, textes réunis et présentés par Henri Blondet. Tallandier, 400 p.

Jérôme Dupuis

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