Armstrong Le business Tour

Boris Thiolay Journaliste

Un livre corrosif dévoile la face affairiste du coureur américain. Si le champion de la lutte anticancer revient sur la Grande Boucle, c’est aussi pour des motivations financières.

Lance Armstrong revient. Le septuple vainqueur du Tour de France, l’homme qui a vaincu le cancer, sera, à compter du 4 juillet, face au  » plus grand défi de sa carrière « . Telle une superproduction hollywoodienne, ce retour promet un sacré spectacle : du sang, de la sueur, des larmes. Une bonne nouvelle pour le sport ? Dans leur livre Le Sale Tour, qui vient de paraître, les journalistes Pierre Ballester et David Walsh apportent une réponse sans équivoque.  » C’est une catastrophe : Armstrong symbolise tous les dérapages, toutes les perversions du sport business : dopage, man£uvres d’intimidation, affairismeà « , assure Ballester, ex-journaliste au quotidien français L’Equipe.

Dans leurs ouvrages précédents – L. A. Confidentiel (2004) et L. A. Officiel (2006) – les deux enquêteurs dévoilaient ce qui expliquait, selon eux, sa domination sur le peloton : usage de produits dopants sur fond d’omerta, pressions et procès intentés contre des témoins gênantsà Car, en dépit de ses dénégations réitérées, le champion a, à plusieurs reprises, été contrôlé positif, aux corticoïdes et à l’EPO. C’était sur le Tour 1999, le premier des sept qu’il a remportés. Ce dopage à l’EPO, révélé en 2005 par L’Equipe (journal appartenant au Groupe Amaury, également propriétaire du Tour), n’a entraîné aucune sanction. Mieux : le coureur, alors à la  » retraite « , a été blanchi dans un rapport commandé par l’Union cycliste internationale (UCI), la fédération mondiale. Un rapport pourtant qualifié d' » erroné et fallacieux  » par l’Agence mondiale antidopageà

Cette fois, Le Sale Tour s’attaque moins au dopage qu’aux rouages du business Armstrong : ses revenus, les mécanismes et les objectifs de Livestrong, sa fondation de lutte contre le cancer, qui aurait levé 190 millions d’euros en douze ans. Pour les deux journalistes, l’entreprise est délicate : mettre ainsi en accusation un champion ayant lui-même surmonté la maladie peut choquer. D’autant plus que, cette année, il court gratuitement pour une équipe kazakhe, afin de promouvoir sa fondation.

Les auteurs voient là une stratégie commerciale. Pour eux, le coureur ne serait pas seulement candidat au rachat de cette étrange équipe (voir l’encadré). Il caresserait aussi des rêves d’OPA sur le cyclisme dans son ensemble. Après avoir un temps imaginé mettre la main sur Amaury Sport Organisation (ASO), la société organisatrice du Tour de France, il déclarait en mars :  » Un sport unifié est terriblement séduisant. Comme la Formule 1.  » Autrement dit, une discipline sportive dont le pouvoir économique échappe à sa fédération, l’UCI.

Autre aspect de son  » business  » : les nouvelles orientations de sa fondation. A l’origine, Livestrong et son site Internet (Livestrong.org) affichaient une vocation exclusivement caritative : l’information et le soutien aux malades atteints du cancer. Mais, en 2008, un site Internet à but lucratif – Livestrong.com – a vu le jour, dédié à la vente de produits liés au  » bien-être, [à] la santé et [à] la remise en forme « . Au mois de novembre dernier, Armstrong assurait lui-même la promotion :  » Si les gens faisaient un petit peu plus attention à ce qu’ils peuvent trouver sur Livestrong.com, ils n’auraient sans doute jamais besoin de se rendre sur Livestrong.org. « à En d’autres termes,  » suivez nos conseils, achetez nos produits, et vous échapperez au cancer « . De  » .org  » à  » .com « , trois petites lettres de différence et  » le caritatif devint un business « , concluent les auteurs.

C’est cet homme d’affaires que le Tour se prépare à accueillir. Une perspective qui suscite un silence poli, tout juste troublé par des grincements de dents. Sollicités par Le Vif/L’Express, les organisateurs n’ont pas souhaité s’exprimer. Armstrong, lui, était trop occupé. Marc Madiot, le manager de l’équipe Française des jeux, ne veut plus parler de l’Américain. En septembre 2008, il avait qualifié ce retour de  » totalement surréaliste « . Bel euphémisme.

Le Sale Tour, par Pierre Ballester et David Walsh. Seuil, 248 p.

Boris Thiolay

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