Armes russes à double tranchant

Moscou achète des drones à Israël et vend des missiles sol-air à… l’Iran. Un double jeu qui pourrait se révéler périlleux pour le Kremlin.

Le 10 avril, à Moscou, le général Vladimir Popovkine, vice-ministre de la Défense, confirmait une information divulguée par Kommersant, quotidien des milieux d’affaires : la Russie venait bien de signer un contrat sans précédent avec Israel Aerospace Industries (IAI), leader en matière de technologies aérospatiales, portant sur l’achat de trois types de drones. Equipés de capteurs et de caméras, ces aéronefs sans pilote sont largement employés pour des missions de reconnaissance, voire, lorsqu’ils sont armés, pour la destruction de lanceurs de missiles.

En dépit des quelque 100 millions de dollars qu’elle y aurait consacrés depuis les années 1990, la Russie n’a pas réussi à se doter de drones performants. Les seuls qu’elle possède sont obsolètes ou peu fiables – tel le Tipchak, dont la production en série a démarré en 2008. Mal copié sur un modèle américain, l’engin a démontré ses dysfonctionnements lors de l’intervention militaire russe en Géorgie, en août 2008. Face aux appareils de reconnaissance acquis en Israël qui équipaient les forces de Tbilissi, la comparaison s’est révélée cuisante. Deuxième exportateur d’armes au monde après les Etats-Unis, la Russie se serait donc résolue, en novembre 2008, à commander à l’Etat hébreu un nombre limité de ces équipements high-tech. De sources israéliennes, il lui en coûtera près de 50 millions de dollars (38 millions d’euros). Pas question, précise Popovkine, d’utiliser ces aéronefs dans des opérations de combat : Moscou agira comme Pékin – qui pirate le matériel militaire acheté à l’étranger pour développer ses armements.

Israël sait donc à quoi s’en tenir. L’affaire a suscité de fortes oppositions dans les cercles de la Défense. La Russie coopère en effet avec les ennemis de l’Etat hébreu, la Syrie et surtout l’Iran, dont elle a facilité l’accès à l’énergie nucléaire. La République islamique cherchant à protéger ses sites d’enrichissement d’uranium contre d’éventuelles frappes, Moscou s’est engagé à lui fournir des batteries antiaériennes de missiles sol-air S-300, d’une portée de 150 kilomètres. En visite à Moscou en octobre 2008, le Premier ministre israélien d’alors, Ehud Olmert, aurait échoué à obtenir l’annulation de ce contrat, signé discrètement en 2007.

Pour l’heure, fort occupé à attirer le président américain Barack Obama dans ses filets, le pouvoir russe n’est guère pressé d’acheminer les S-300 vers l’Iran. Selon le quotidien israélien Haaretz, l’Etat hébreu n’a consenti à l’achat de ses drones qu’après avoir reçu de la Russie l’assurance qu’elle s’abstiendrait de cette livraison. Il n’y a eu que de  » vagues promesses « , a aussitôt rétorqué un ancien officiel israélien.  » Je ne crois pas que la Russie ait l’intention de renoncer, et j’espère que les responsables israéliens de la Défense n’ont pas la naïveté de le croire « , avance Yiftah Shapir, directeur de recherche sur les équilibres militaires à l’Institut israélien d’études pour la sécurité nationale.  » Des Iraniens, ajoute-t-il, seraient déjà en cours de formation en Russie pour apprendre le maniement de ces systèmes. Par ailleurs, Téhéran négocierait avec Moscou l’acquisition de batteries supplémentaires, des S-300 PMU-2, un modèle aux performances renforcées.  »

A ce double jeu, la Russie risque d’être un jour piégée. Le pire qui puisse lui arriver serait que les Etats-Unis et l’Union européenne se rapprochent de l’Iran. Car ce pays offre la voie la plus simple pour désenclaver les hydrocarbures de la Caspienne – que Moscou veut à toute force contrôler – à destination des marchés occidentaux.

SYLVAINE PASQUIER

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