Arafat en difficulté

Trop de concessions à l’égard d’Israël: la popularité du raïs est en chute libre dans l’opinion, qui réclame une démocratisation de l’Autorité palestinienne

Ce qu’Ariel Sharon n’a pas obtenu par la puissance des armes de Tsahal, c’est peut-être la rue palestinienne qui le lui donnera. Car, paradoxalement, depuis que Yasser Arafat a entrepris de calmer les velléités d’Intifada de la plus grande partie de sa population, son statut de leader incontesté s’est rapidement dégradé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Au point que les derniers sondages le créditent d’environ 20% d’opinions favorables à la fin du mois d’avril contre 80% un mois auparavant, alors qu’il était encore assiégé dans la Moukhata, sa résidence de Ramallah.

Certes, « Abou Amar » (le nom de guerre du président palestinien) est toujours considéré comme le symbole de la lutte pour l’indépendance. Mais, dans le même temps, les concessions qu’il a faites pour obtenir le levée du siège de la Moukhata (le transfert à une force internationale de son proche conseiller Fouad Choubaki, accusé par Israël d’organiser des trafics d’armes, ainsi que de 5 membres du Front populaire de libération de la Palestine impliqués dans l’assassinat du ministre israélien d’extrême droite Rehavan Zeevi) n’ont pas été acceptées par les Palestiniens de la rue. Pas plus, en tout cas, que l’accord portant sur la levée du siège de l’église de la Nativité à Bethléem, à la suite duquel 13 combattants palestiniens qu’Israël considère comme des « terroristes ayant du sang sur les mains » ont été bannis des territoires autonomes, alors que 26 autres ont été envoyés en « exil intérieur » dans la bande de Gaza.

Cette détérioration de la position d’Arafat était déjà visible lors de la libération de la Moukhata, au début du mois de mai. En effet, quelques heures après avoir retrouvé sa liberté de mouvement, le raïs (président), qui pensait recevoir un accueil triomphal, s’est promené « à la rencontre de son peuple » de Ramallah. A part les fonctionnaires obligés, les correspondants de la presse étrangère venus en nombre, et des groupes d’enfants trop heureux de pouvoir s’amuser un peu, il n’a pas vu grand monde, car les habitants de Ramallah avaient autre chose à faire.

Hautes pressions

Cette indifférence, il y a d’ailleurs été confronté également le 13 mai, au cours de sa première tournée des villes palestiniennes de Cisjordanie. A Bethléem, à l’exception des journalistes et des fonctionnaires de la municipalité, convoqués avec les membres de leur famille pour faire nombre, il n’y avait quasi personne pour l’accueillir à l’entrée de l’église de la Nativité, dont les abords venaient pourtant d’être évacués par Tsahal. A Naplouse, l’enthousiasme de la population locale n’était pas non plus très élevé. Et, à Jénine, Arafat a préféré renoncer « pour des raisons de sécurité » à la visite qu’il avait prévu de faire dans le camp de réfugiés de la ville. Car il y était attendu par plusieurs milliers d’habitants décidés à lui demander des comptes. Et, aussi, par quelques dizaines de combattants islamistes armés qui ne cachaient pas, eux, leur envie d’en découdre avec « le lâche Abou Amar ».

Alors que l’Intifada semble pour le moment reprendre son souffle, la société palestinienne réclame ouvertement à l’Autorité des réformes de structures et un fonctionnement plus démocratique que par le passé. Au lendemain de la libération de la Moukhata, Hussein Al Cheikh, qui est l’homme fort du Fatah en Cisjordanie en l’absence du député Marwan Barghouti (arrêté par Tsahal le 15 avril), a d’ailleurs exigé d’Arafat qu’il « convoque enfin le congrès du parti », prévu il y a…. treize ans. Quant à Mohamad Dahlan (le très puissant chef du Service palestinien de sécurité préventive de la bande de Gaza), il a ouvertement réclamé « la fin des nominations politiques et la constitution d’un gouvernement plus réduit, formé de ministres compétents ». Des propos endossés par Nabil Amr, un membre du cabinet palestinien qui a d’ailleurs démissionné parce qu’Arafat affirmait qu’il faut « d’abord penser à reconstruire avant de parler de réformes ».

Pourtant, le mouvement est lancé et Arafat ne pourra sans doute pas l’arrêter. Le 10 mai, réunies en « congrès populaire », plusieurs dizaines d’organisations civiles et humanitaires fédérées par Moustafa Barghouti (un médecin de Ramallah à ne pas confondre avec le député Marwan Barghouti) ont exigé de la direction palestinienne « l’adoption d’une stratégie nationale appliquant immédiatement des réformes internes (…) éliminant la corruption et la mauvaise gestion et qui obligeraient les fonctionnaires palestiniens à servir les intérêts du public ».

Ce texte, dont la publication aurait été impensable avant le déclenchement de l’Intifada, presse également Arafat de « réaliser des réformes véritables satisfaisant les demandes faites depuis longtemps par les Palestiniens: le vote d’une constitution, la création d’un système judiciaire indépendant, l’adoption de politiques rencontrant les besoins des secteurs non privilégiés de la société, la séparation des pouvoirs ainsi que l’organisation d’élections libres et démocratiques », les dernières et les seules ayant eu lieu en 1996.

Phénomène plus inquiétant pour le raïs, certaines de ces exigences émanent directement du Fatah, son propre parti. Le 12 mai, s’exprimant au micro de la Voix de la Palestine (la radio officielle), Hatem Abdel Khader, l’un des responsables du Fatah, a exigé la nomination d’un Premier ministre (pour l’heure, le président palestinien est en même temps le chef du gouvernement), la constitution d’un cabinet restreint de 15 membres maximum, ainsi qu’un contrôle du Conseil national palestinien (CNP, le parlement) sur le fonctionnement du système judiciaire. Cette insistance porte plus spécialement sur la Cour de sûreté de l’Etat, qui a pour politique de condamner à de lourdes peines et sous les accusations les plus variées tous ceux qui pourraient présenter un danger pour le régime en place.

Au sein du Fatah comme dans la plupart des cercles dirigeants palestiniens, beaucoup réclament également la démission de Mohamad Rachid, le conseiller financier et homme de confiance d’Arafat. Impliqué dans de nombreux dossiers douteux (le financement des achats clandestins d’armes par les services de sécurité palestiniens, la création d’un casino à Ramallah (!), l’ouverture de comptes secrets à l’étranger), Rachid sert également d’agent de liaison entre « Abou Amar » et les dirigeants israéliens. Aux moments les plus chauds de l’Intifada, il rencontrait discrètement Shimon Peres et Omri Sharon, le fils du Premier ministre israélien, qui est, lui aussi, souvent chargé de missions délicates par son père.

Quoi qu’il en soit, la rue palestinienne exige la tête de Rachid, car il symbolise à ses yeux la corruption régnant dans l’entourage du président. La semaine passée, un commando armé des Brigades des martyrs Al-Aqsa a d’ailleurs fait irruption dans la maison du conseiller financier d’Arafat, avec l’intention avouée de le tuer. Mais Rachid se trouvait à l’étranger et l’affaire n’a pas été plus loin. Quelques jours plus tard, toujours à Ramallah, c’est le ministre des Organisations non gouvernementales Hassan Asfour, un autre proche d’Arafat et l’un des architectes des accords de paix d’Oslo, qui a été agressé par un commando armé de barres de fer.

L’après-Arafat

Certes, officiellement, Asfour accuse Israël. Mais personne ne prend cette explication au sérieux. En fait, le raid sur la maison de Rachid et l’attaque d’Asfour, en pleine rue et par des professionnels (ils ont désarmé ses gardes du corps et ils ont frappé leur victime de manière à blesser sans tuer), sont les résultats des tensions qui tiraillent la direction palestinienne dans la perspective de moins en moins lointaine de la succession d’Arafat.

Résultat de ce bouillonnement: mardi, le CNP a voté une loi proclamant l’indépendance des tribunaux palestiniens par rapport au pouvoir exécutif (Arafat). Le lendemain, le raïs s’est présenté devant les députés – ce qu’il n’avait plus fait depuis longtemps – pour annoncer une série de réformes de structures. Un préalable indispensable à la reprise des pourparlers avec Israël à l’occasion de la « conférence régionale » de paix dont l’ouverture est prévue, le mois prochain, en Turquie.

Serge Dumont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire