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« Après les dix pas en avant du Mondial féminin, neuf pas en arrière »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La finale, le dimanche 7 juillet à Lyon, a couronné un mois de Coupe du monde en France qui a modifié le regard sur le foot féminin. Un tournant pour le combat féministe ? Auteure du livre #MeFoot (1), Lucie Brasseur voudrait y croire mais l’actualité lui dit que le sexisme aura la vie dure.

Vous attendiez-vous à un tel succès de la Coupe du monde féminine de football ?

J’espérais qu’elle soit réussie. Mais quand TF1 a annoncé, le 8 juin dernier, que, la veille, la rencontre d’ouverture entre la France et la Corée du Sud avait été suivie par près de 11 millions de téléspectateurs (2), j’en ai eu les larmes aux yeux. Vu les conditions dans lesquelles la compétition a été organisée, c’était inattendu. Six mois auparavant, personne ne savait que le Mondial féminin allait se tenir en France.

Cette réussite est-elle due principalement à un changement de perception du foot féminin dans la société ou au dispositif médiatique déployé par le groupe TF1 ?

A un changement de société parce que c’est le public qui a choisi.

Le sport est-il un puissant vecteur d’émancipation des femmes ?

J’ai été élevée par des intellectuels qui m’ont toujours dit que le seul moyen de s’émanciper pour une femme résidait dans les sciences, la littérature… un peu dans l’esprit de Simone de Beauvoir et des intellectuels de la deuxième moitié du xxe siècle. En commençant mon enquête, je n’avais pas conscience que le sport pouvait à ce point être un outil d’émancipation. Par la pratique sportive, on lutte contre toutes les discriminations, le sexisme, le racisme, l’homophobie, l’âgisme… Et le sport est plus facile d’accès que la culture.

Lucie Brasseur, auteure, journaliste et éditrice.
Lucie Brasseur, auteure, journaliste et éditrice.© Ivan Franchet

Dans votre livre, plusieurs joueuses témoignent de la présomption d’incompétence ou d’illégitimité qu’on leur a opposée. Est-ce un handicap ou un stimulant ?

Ce procès vaut pour la vie professionnelle de toute femme et provoque une colère qui transforme le mental. Mais si on pouvait se passer de ce soupçon de départ, cela permettrait de parier sur la confiance et non sur la défiance. C’est vrai aussi pour les hommes. Au milieu de cette Coupe du monde, mon conjoint va s’acheter une chemise. La vendeuse ou le vendeur lui lâche :  » Vous direz à votre femme qu’il faut la laver à x degrés.  » Quand un homme veut devenir assistant maternel et garder des enfants à domicile, on l’imagine tout de suite incompétent… La discrimination est aussi violente dans les deux cas.

Ne faut-il pas souhaiter que le football féminin évite les dérives du football masculin, la violence, la corruption, les excès financiers… ?

Tout dépendra des enjeux financiers qui sous-tendront le sport. Des dérives commencent à apparaître dans certaines sections féminines de clubs de foot, notamment aux Etats-Unis. Mais de manière générale, on en est très loin. Si les joueuses pouvaient juste être traitées dignement, ce ne serait déjà pas mal. Le salaire moyen d’une joueuse en France est de 2 500 euros brut, chiffre biaisé par les quatre ou cinq footballeuses de l’Olympique Lyonnais qui sont très bien payées. La plupart touchent 850 euros brut et travaillent à côté.

La peopolisation de certaines joueuses, est-ce un bien ?

Elles ont parfaitement conscience de jouer un rôle de modèle et de  » grande soeur « . Le football féminin en a besoin. Les ados qui pratiquaient il y a une dizaine d’années se travestissaient en garçons parce qu’elles n’avaient pas de modèle féminin auquel s’identifier. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et cela change tout.

Le titre de votre livre #MeFoot fait référence à #MeToo. Pensez-vous que cette Coupe du monde puisse marquer un tournant dans la perception des femmes dans la société ?

Ce titre est né d’une discussion avec mon éditrice où, évoquant mon enquête, je racontais que les joueuses témoignaient sur le mode  » j’avoue : je joue au foot « . La formule illustre la gêne que certaines éprouvent encore à assumer leur passion. Cette Coupe du monde va-t-elle changer quelque chose ? Pas sûr. Aujourd’hui, quand on fait dix pas en avant, on en fait neuf en arrière. Une semaine avant le début de la compétition, on a demandé aux joueuses de l’équipe de France de déménager de leur lieu de résidence à la Fédération française de football parce que les garçons étaient prioritaires. Le 8 juin, une grande enseigne de distribution a sorti une plaquette promotionnelle qui proposait à ses clientes de célébrer la victoire des Bleues en allant acheter des… produits cosmétiques et ménagers. Un JT de 13 heures de TF1 a diffusé un sujet où le journaliste explique, à propos du jeu des footballeuses, qu’elles font du tricot sur le terrain… Tous les jours, un nouvel élément rappelle aux femmes que tout va bien aller mais qu’elles restent quand même des meufs. J’aimerais tellement vous répondre que les mentalités ont changé mais en fait, non. Le succès de ce mondial féminin, c’est comme un iceberg : dix pourcents de positif et nonante pourcents de machisme.

(1) #MeFoot, En finir avec les machos ! Lucie Brasseur, Les éditions du Rêve, 192 p.

(2) Audience pour la France ; en Belgique, le match a été vu par 121 448 téléspectateurs sur La Deux et par 7 221 visiteurs sur Auvio. En moyenne, les matches du Mondial féminin ont rassemblé sur La Deux jusqu’aux demi-finales 80 685 téléspectateurs, et récolté 7,7 % de parts de marché.

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