Apocalypse version Atwood

La grande dame des lettres canadiennes revient à l’anticipation et à la satire pour peindre un futur digne de Jérôme Bosch. Un tableau féroce.

Dans le monde anglo-saxon, Margaret Atwood est depuis longtemps statufiée. Titulaire d’une dizaine de doctorats honoris causa, couronnée d’un Booker Prize et de bien d’autres lauriers, abonnée aux succès faramineux – son Tueur aveugle s’est vendu à plus de 1 million d’exemplaires -, la grande dame des lettres canadiennes est une véritable institution à elle seule. Mais cette ex-pétroleuse qui s’aiguisa les griffes dans le camp du féminisme est aussi une redoutable sorcière, avec des yeux de Méduse. Sorcière, parce qu’elle déverse dans ses chaudrons tous les cauchemars de notre époque. Méduse, parce qu’elle hypnotise ses lecteurs avec des histoires qui les paralysent de peur : distillée dans les laboratoires de Big Brother, une bonne partie de son £uvre décrit un avenir livré aux pires chaos en s’inspirant de Huxley et d’Orwell pour rameuter tous les démons qui, demain, mèneront le bal si nous ne leur tordons pas le cou.

Dans son nouveau roman, Le Temps du déluge, elle renoue à la fois avec l’anticipation et la satire en soufflant sur les braises du présent pour attiser le feu des apocalypses futures. Quant à ses personnages, on les avait déjà rencontrés dans un récit traduit en 2005 chez Robert Laffont, Le Dernier Homme, où elle peignait un monde totalement détraqué, gouverné par des Frankenstein prométhéens sortis de Mad Max ou d’ Orange mécanique. Lorsque s’ouvre Le Temps du déluge, la planète semble avoir rendu l’âme : elle a été cruellement balayée par le  » Déluge des airs « , et une jeune survivante, Toby, contemple le désastre du toit d’un immeuble près duquel se dressent des tours abandonnées,  » pareilles aux coraux d’un antique récif « à Si ce cataclysme a frappé les humains, c’est parce que le Ciel a voulu les punir de leurs méfaits, de leur pillage de la Terre et de leur destruction des espèces, une sorte de châtiment biblique où Toby jouera le rôle de Noé, face à une meute proliférante de créatures hybrides – liogneaux, porcons, malchatons et lapins verts.

A l’histoire de Toby, Margaret Atwood ajoutera celle d’autres rescapés, Ren, Amanda, Jimmy, mais aussi quelques membres des Jardiniers de Dieu, une  » secte verte  » dirigée par un gourou végétarien adepte de l' » asticothérapie « , Adam Premier. S’il prétendait préserver la planète, cet extrémiste foutraque a entraîné ses fidèles dans des dérives grotesques, et la Canadienne redouble d’ironie pour peindre un monde où les représentants du Bien ont le visage du Mal et où les savants bidouillent nos gènes en travaillant au malheur de l’humanité, tandis que les religions sombrent dans le pire sectarisme.

Le Temps du déluge est une parodie grinçante de la Genèse, une fable féroce où la reine Margaret tend un miroir terrifiant à une  » civilisation  » qu’elle juge déboussolée. Et moribonde. On se croirait dans une toile de Jérôme Bosch ou dans La Route, de Cormac McCarthy, à l’heure du jugement dernier.

Le Temps du déluge, par Margaret Atwood. Trad. de l’anglais (Canada) par Jean-Daniel Brèque. Robert Laffont, 439 p.

ANDRÉ CLAVEL

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