Anvers, la peur au ventre

Dans la Métropole, la grande coalition voudrait démontrer qu’elle gère « autrement ». Serait-ce sa dernière chance face au Vlaams Blok?

Tensions entre communautés, bagarres politiques, peur de l’extrême droite: décidément, la vie politique à Anvers n’a rien d’un long fleuve tranquille! Depuis les élections communales du 8 octobre 2000, les spécialistes s’attendaient à des lendemains difficiles. Il avait fallu trois mois de tergiversations – plus qu’il n’en faut, en général, pour former un gouvernement fédéral – avant d’assister à l’éclosion d’une « grande coalition » des… battus, censée faire obstacle au Vlaams Blok. Sans grand enthousiasme, il est vrai. Depuis des lustres, les partis démocratiques doivent bien constater les dégâts face au parti de Filip Dewinter, qui a conquis 33 % de l’électorat anversois, contre 28 % en 1994 et 17 % en 1988. Pour la deuxième fois, une alliance de partis aux programmes aussi hétéroclites que le SP.A (socialiste), le VLD (libéral), le CD & V (social-chrétien) et Agalev (écologiste) est en effet nécessaire pour maintenir le Blok sur les bancs de l’opposition. Ce qui ne coule pas de source. Ces derniers mois, les incidents ne manquent pas. La mayonnaise prend difficilement. Et d’aucuns admettent de plus en plus ouvertement que les partis démocratiques laissent peut-être filer leur dernière chance…

« Il est trop tôt pour dresser un bilan, estime le politologue Marc Swyngedouw (KULeuven et KUBrussel). De vrais efforts sont entrepris pour moderniser la gestion de la ville. Ainsi, l’absentéisme dans l’administration est en net recul, de grands projets urbanistiques sont lancés, le budget est en équilibre, la grande criminalité n’augmente plus et, pour la première fois, on peut parler d’une politique cohérente en matière de sécurité. Mais tout cela demande confirmation. Pour le moment, ces progrès sont occultés par certaines tensions entre partenaires politiques, notamment entre libéraux et écologistes. Ces jeux politiciens sont nuisibles: ils donnent l’impression aux Anversois que rien n’a changé. » Or un tel constat serait catastrophique. Terreau fertile pour une formation comme le Vlaams Blok, parce qu’elle a jadis abrité les élites intellectuelles du Mouvement flamand, puis les collaborateurs du régime nazi, la Métropole a trop longtemps confié sa destinée à des partis politiques arrogants, monopolisant le pouvoir et prenant leurs électeurs pour de vulgaires clients. Comme en Autriche ou, récemment, à Rotterdam, la ville portuaire rivale, les solutions simplistes de leaders xénophobes et populistes ont fait mouche face à l’incurie des dirigeants du passé.

Fébrilité

A Anvers, dit-on, un déclic salutaire se serait produit. Seul inconvénient, de taille: un réel changement de politique nécessite du temps. Plusieurs années, assurément. Dans l’intervalle, Dewinter et les Blokkers se tiennent en embuscade. Le succès du radical Pim Fortuyn aux Pays-Bas leur donne des ailes. Tout comme un récent sondage du quotidien Gazet van Antwerpen les incite à poursuivre leur travail de sape: les deux tiers des Anversois estiment que le « cordon sanitaire » dressé autour du Vlaams Blok devrait être levé. En clair: rien ne s’opposerait à ce qu’il participe directement à l’exercice du pouvoir. Sous-entendu: pour mieux le « mouiller » et l’obliger à se casser les dents.

Forcément, la nervosité ne fait qu’augmenter parmi les partis au pouvoir. D’autant que, ces jours-ci, le conflit israélo-palestinien s’est exporté dans la capitale économique de la Flandre, où cohabitent d’importantes communautés juive et musulmane. Une odeur de soufre que l’extrême droite ne manquera pas d’exploiter… Pour l’heure, c’est au sein du VLD du Premier ministre Guy Verhofstadt que la fébrilité semble la plus criante. « Aux élections législatives de 1999, rappelle Marc Swyngedouw, les libéraux flamands ont perdu quelque 40 000 voix au profit du Vlaams Blok. » Pour les récupérer, plusieurs recettes sont envisagées au sein d’un VLD de plus en plus divisé. Incarné notamment par le député européen Ward Beysen, un courant radical et conservateur, certes minoritaire, dénonce les manquements de la bourgmestre socialiste Leona Detiège et critique ouvertement le partenaire écologiste, tout en rivalisant d’imagination avec le Blok pour séduire d’éventuels émules belges du populiste néerlandais Pim Fortuyn. Un véritable « poison » pour la cohésion de l’exécutif anversois, bien évidemment.

Philippe Engels

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