Anvers, cimetière des ambitions de De Wever

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La métropole est un laboratoire politique pour la N-VA dans la perspective des élections de 2014. La gestion chaotique de son patron a sérieusement écorné son image. Il risque de le payer cher.

Ma ville est devenue un terrain de combat national. Ici plus qu’ailleurs, on prépare le très important scrutin de 2014.  » Attablé dans un café situé face à l’hôtel de ville d’Anvers, le politologue Dave Sinardet (VUB), par ailleurs chroniqueur très écouté en Flandre, compte les points. Depuis le début de l’année, la métropole est devenue le principal point de fixation des médias flamands – et belges en général.

La conquête du pouvoir par Bart De Wever aux élections communales d’octobre dernier fait une nouvelle fois de la principale cité flamande un laboratoire politique. C’est ici qu’Agalev, devenu Groen, est né dans les années 1970. Ici que le Vlaams Blok, devenu Vlaams Belang, a explosé dans les années 1990. C’est forcément depuis cette place forte que le leader des nationalistes flamands devait entamer sa conquête de la Flandre. Ses détracteurs l’attendent au tournant. Il pourrait y perdre de son aura.

Le changement à tout prix

 » Bart De Wever veut faire d’Anvers la vitrine du changement qu’il a promis lors de la campagne, analyse Dave Sinardet. D’autant qu’il dirige une coalition de droite avec le CD&V et l’Open VLD. Un rêve pour lui, et l’équivalent de ce qu’il aimerait mettre en place au niveau flamand après 2014. C’est pour cela qu’il multiplie les décisions avant tout symboliques. Ainsi, la fameuse taxe pour les étrangers qu’il voulait instaurer était clairement destinée à montrer que la N-VA pense aux électeurs du Vlaams Belang, qui l’ont rejointe en nombre. Ces gens sont très critiques à l’égard de la politique, et risquent de retourner rapidement à l’extrême droite s’ils ont l’impression que tout reste comme avant. De Wever doit faire vite. Résultat : beaucoup de controverses sciemment crées par De Wever ou par l’opposition, et démultipliées par les médias.  »

Sur la table devant lui, les journaux quotidiens évoquent en Une un énième rebondissement dans l’incroyable saga du stade d’Anvers. Ici, tout le monde ne parle que de ça. Le nouveau bourgmestre s’est mis en tête d’attirer un club de football de haut niveau. Secrètement, il a négocié avec le CEO Patrick Decuyper le rachat d’un des deux matricules qu’il possède au plus haut niveau, celui de Zulte-Waregem, sensation footballistique de l’année, ou celui du KV Ostende, qui évoluera l’année prochaine en division 1. Le tollé a été tel parmi les supporters que les deux affaires ont capoté. Regrettant ce tohu-bohu prématuré, De Wever a dû regretter, en Calimero qu’il affectionne :  » Je marche maintenant sur le boulevard des rêves brisés.  »

 » Tous les hommes politiques, partout dans le monde, essayent d’associer leur image à celle d’un sport populaire, poursuit Dave Sinardet. C’est une très bonne façon de créer de l’identité, de donner de la fierté, et de toucher des gens qui ne s’intéressent pas à la politique. Une équipe de haut niveau à Anvers, ce serait évidemment un symbole fort pour la ville. L’illustration de la capacité de De Wever à mener un gros projet. Mais cela s’est passé, une nouvelle fois, de manière chaotique parce que l’information a filtré trop tôt. Et le bourgmestre a sans doute sous-estimé le fait qu’amener à Anvers une équipe ouest-flamande, fût-elle de haut niveau, heurterait les sensibilités.  »

Aucune solution de fond

Principale cheffe de l’opposition anversoise, la SP.A Yasmine Kherbache – par ailleurs cheffe de cabinet du Premier ministre Elio Di Rupo au gouvernement fédéral -, ne décolère pas.  » Ce que l’on a vu les mois passés, c’est une politique symbolique sans aucune solution sur le fond, dénonce-t-elle au Vif/ L’Express. En ce qui concerne la taxe sur les étrangers, j’avais dit qu’elle était illégale et que nous travaillions à une procédure plus efficace pour limiter les inscriptions dans les grandes villes. Mais il s’est entêté, il a voulu continuer et sa décision a été cassée par le gouverneur. Entre-temps, on n’a pas constaté la moindre amélioration de la situation.  »

C’est une même vision à court terme, improductive, que Yasmine Kherbache dénonce dans le dossier du club de football.  » Bart De Wever négocie en coulisses sans même tenir l’échevin concerné au courant, dit-elle. J’appelle cela de l’ancienne culture politique. Il y a une longue tradition de football et de formation des jeunes à Anvers, mais il préfère faire son shopping pour importer un autre club dans la ville en se mettant tout le monde à dos. La méthode utilisée par Vincent Kompany à Bruxelles, en misant sur les jeunes talents et en respectant les supporters, voilà ce qu’il fallait faire.  »

Depuis janvier, le nouveau pouvoir anversois n’a cessé de donner à l’opposition l’occasion d’exprimer ses griefs. A peine installé, Bart De Wever scandalise en lançant une petite phrase assassine :  » Je ne veux pas qu’une personne portant un Tee-shirt arc-en-ciel soit assise à un guichet. Parce qu’un homosexuel indique clairement, par cette symbolique, à quelle obédience il appartient.  » Le propos vise en réalité à confirmer une politique initiée par son prédécesseur SP.A, Patrick Janssens, mais l’ostracisme ainsi exprimé suscite un rejet unanime :  » De Wever va trop loin !  » Il y a quelques semaines, autre couac retentissant : le bourgmestre négocie en secret avec quelques habitants  » fortunés  » le déménagement d’une partie de la foire d’Anvers vers les quais de l’Escaut, en endossant même leurs frais de justice. La raison ? Ces plaignants considéraient qu’elle faisait trop de bruit, une plainte pourtant récurrente depuis de nombreuses années. Un geste qui lui a valu le très peu envieux qualificatif de  » Poutine flamand  » de la part de plusieurs commentateurs.

 » Une politique d’arrière-salle, une justice de classe « , s’indigne la cheffe de file socialiste. Plus fondamentalement, Yasmine Kherbache estime que le nouveau pouvoir nationaliste délaisse les vrais enjeux de fond.  » Il ne fait, par exemple, rien pour gérer la question du manque de capacité au niveau de l’enseignement, dit-elle. Or c’est un problème majeur pour nos villes. C’est un dossier que la N-VA bloque même au niveau du gouvernement flamand. Lorsqu’elle est arrivée au pouvoir, en janvier, je n’étais pas très optimiste. Maintenant, c’est pire : je considère que le moteur est à l’arrêt.  »

Un grand risque pour De Wever

 » Il y a une grande polarisation, la ville est coupée en deux et ce n’est pas bon, constate Dave Sinardet. Chaque jour, de nouvelles tensions apparaissent et cela se ressent aussi au sein de la population. C’est certainement dû à la N-VA, mais aussi à l’opposition. Le SP.A tente de se refaire une santé après ses années au pouvoir, Groen est sorti renforcé des dernières élections et le PVDA (Partij van de arbeid) est entré au conseil communal. Ils tirent à vue sur tout ce que le bourgmestre fait. Ensemble, ils gouvernent même un des neuf districts d’Anvers, à Borgerhout, ce qui accroît encore les tensions.  »

 » C’est De Wever lui-même qui a généré cette polarisation, rétorque Yasmine Kherbache. Dès le soir de son élection, lorsqu’il a affirmé que la ville n’appartenait plus à tout le monde.  » Lundi soir, les tensions ont atteint un niveau sans précédent : le groupe socialiste a quitté la séance du conseil communal après que le bourgmestre ait refusé que Yasmine Kherbache n’utilise son droit de réplique.

Interrogé par Le Vif/L’Express, Bart De Wever a refusé de s’exprimer. Secoué, malmené, il fait le gros dos et dénonce une attention médiatique excessive sur ses faits et gestes l’empêchant de conclure des accords.

 » En réalité, je pense que la N-VA n’avait pas vraiment de vision pour la ville, analyse Dave Sinardet. J’avais d’ailleurs rebaptisé leur programme électoral,  » la force du changement « , en  » la force de la continuité  » tant les différences étaient mineures par rapport à la législature précédente. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que la N-VA était déjà au pouvoir à Anvers, même si c’était un parti minoritaire. Elle est d’abord une formation nationaliste. Son seul vrai enjeu était surtout de profiler De Wever à Anvers et de remporter une première grande victoire électorale avant 2014.  » Une analyse confirmée la semaine dernière : Bart De Wever, et non son successeur annoncé Ben Weyts, restera à la tête du parti jusqu’au lendemain des élections de 2014. C’est donc lui qui mènera la campagne, même s’il a promis de rester bourgmestre d’Anvers.

Tous les analystes s’accordent pour affirmer que l’homme fort de la N-VA a sous-estimé la tâche que représente la gestion de la seconde ville de Flandre, forte d’un demi-million d’habitants.  » C’est d’autant plus vrai qu’un nombre très restreint de personnes sont à la manoeuvre, complète le politologue de la VUB. Outre Bart De Wever, ce sont essentiellement son bras droit, Liesbeth Homans, et Koen Kennis, son échevin des Finances, qui tirent les ficelles. Ils doivent jongler avec beaucoup de choses. Ils doivent gérer la ville bien sûr, sans oublier les neuf districts anversois et les communes des pourtours où la N-VA se trouve au pouvoir, ce qui est nouveau pour le parti. Ils doivent aussi coacher ceux qui n’étaient pas actifs en politique comme l’échevine Nabila Ait Daoud (NDLR : auparavant gestionnaire d’une boulangerie). Ils doivent encore éviter les prises de parole trop exagérées et les dissensions au sein du conseil communal.  »

Autant de menaces pour la popularité de Bart De Wever en Flandre, commente Dave Sinardet.  » Je vois en outre un autre risque potentiel : le leader flamand se profile fortement comme un Anversois dans les médias nationaux, avec le logo de la ville sur sa veste à chaque occasion. Mais comment cela est-il perçu par le reste de la Flandre, sachant qu’Anvers n’y est pas une ville très populaire ? Quel sera l’effet pour 2014 ?  »

Nul doute que le président de la N-VA joue très gros à Anvers et ces premiers mois démontrent que sa confrontation au pouvoir réel est tout sauf une sinécure. En marchant sur la ville au soir du 14 octobre dernier, il ne pouvait cacher son euphorie et sa fierté. Bientôt, Anvers pourrait pourtant devenir le cimetière de ses ambitions et de ses illusions.

Le week-end dernier, deux sondages de La Libre/ RTBF et du Standaard ont montré une chute sévère de la N-VA en Flandre, de l’ordre de 6 % des intentions de vote. Même si les nationalistes restent à un niveau supérieur aux dernières élections, autour de 32 %, ils payent là les balbutiements de leur présence au sein de quelque 160 majorités communales. Perdant lui-même du terrain face à son principal concurrent Kris Peeters (CD&V), Bart De Wever a réagi, placide :  » Nous sommes à nouveau les deux pieds sur terre. Si l’on dépasse les 40 %, c’est totalement irréaliste. Et l’on court le risque qu’au sein du parti, certains se disent que tout est permis.  » Une manière détournée de reconnaître que la N-VA est en train de devenir un parti comme les autres ?

OLIVIER MOUTON

Plusieurs commentateurs ont qualifié Bart De Wever de  » Poutine flamand  »

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