Antistarsystème

Xavier Giannoli dirige Kad Merad dans Superstar, fable kafkaïenne sur la célébrité où toute ressemblance avec la réalité n’est pas fortuite. Le réalisateur et l’acteur creusent ce thème avec Le Vif/L’Express pour dénoncer clichés et dérapages. Et ce n’est pas du cinéma.

Pour ces deux-là, une interview croisée n’est pas un exercice promotionnel, mais une discussion amicale et naturelle. Xavier Giannoli, 40 ans, réalisateur, et Kad Merad, 48 ans, acteur, se connaissent depuis leurs débuts. Et même avant. Stagiaire à L’Express, le jeune Xavier signait, le 7 avril 1994, un article sur le tournage d’un spot de prévention contre le sida dans lequel jouait le non moins jeune Kad. Ils sympathisèrent sans savoir que cette rencontre les mènerait dans ces fauteuils moelleux d’un grand hôtel parisien. En 1996, le premier signait Dialogue au sommet, un (excellent) court-métrage avec le second. Depuis, ils sont restés les meilleurs amis du monde. Et sont devenus, chacun de leur côté, des valeurs sûres du grand écran. Xavier Giannoli a réalisé Quand j’étais chanteur ou A l’origine, Kad Merad a joué dans Je vais bien, ne t’en fais pas ou Bienvenue chez les Ch’tis ! Ce Superstar signe donc leurs retrouvailles, et ce n’est sans doute pas un hasard. Le film raconte l’histoire d’un anonyme devenu célèbre du jour au lendemain sans qu’il sache pourquoi et qui, effrayé par cette situation qui le dépasse, refuse cette célébrité.

Une fable des temps modernes, évidemment, qui pointe les dérapages de la pipolisation, les rumeurs nées sur les réseaux sociaux mais aussi l’omniprésence médiatique, dont a été l’objet Kad Merad il y a trois ans après son césar pour Je vais bien, ne t’en fais pas et le triomphe des Ch’tis. Des sujets qui font l’objet de cet entretien, le cinéaste comme le comédien ayant leur petite idée sur cette époque du tout à l’ego.

Kad Merad : Dans Superstar, je jette un pavé sur la couverture d’un magazine qui montre, à la Une, mon personnage en photo avec ce titre :  » On le voit trop !  » Je me souviens avoir ri au moment de tourner cette scène car elle me rappelait un papier, paru dans L’Express d’ailleurs, qui était titré de la même façon, ou presque. Je n’ai pourtant pas le sentiment de tourner plus que les autres. Mais, avec le succès, même petit, vient toujours le temps du tir à vue. Néanmoins, je n’ai jamais pensé que ce rôle me racontait personnellement : contrairement à ce Martin Kazinski, moi, je kiffe la célébrité !

Xavier Giannoli : D’ailleurs, le sujet n’est pas la célébrité. Ce qui m’intéresse, c’est la figure du refus. Ce type veut préserver sa tranquillité, sa dignité, parce qu’il sait n’avoir aucune légitimité à être célèbre. Et parce qu’il dit non à la vulgarité, il devient une icône malgré lui.

Un des personnages du film, rappeur de son état, dit d’ailleurs :  » Aujourd’hui, les gens célèbres se demandent comment devenir des artistes, et les artistes cherchent à être célèbres « à

K. M. : A qui la faute ? Comment est-on passé des artistes aux people ? Depuis l’explosion de la téléréalité, on ne sait plus qui est qui.

X. G. : Ce qui a changé les choses, ce n’est pas tant Loft Story, la première émission du genre, que sa médiatisation. Un sociologue a calculé que tous les articles négatifs parus à propos de Loft Story représentaient 350 millions d’euros de publicité. Pour la première fois, la critique devenait un outil promotionnel. Plus on disait aux gens de ne pas regarder ce type d’émissions, plus ils se passionnaient pour elles. D’autant que nombre d’intellectuels leur ont donné du sens. Mais le phénomène est représentatif de notre époque : on apprend beaucoup d’une société à travers les gens qu’elle admire et qu’elle célèbre. Aujourd’hui, il y a une désacralisation de la star, au profit, si je peux dire, de l’industrialisation d’un pseudo-vedettariat. On est au c£ur d’une époque qui m’épouvante, dirigée par la com.

K. M. : Moi, j’ai eu le temps de m’habituer à la notoriété puisqu’elle n’est pas arrivée du jour au lendemain ni sans raison. Du coup, je ne suis absolument pas dupe. Je sais ce que la célébrité provoque d’admiration ou de jalousie. J’en profite, car elle me permet de travailler, moi et d’autres, puisque mon statut actuel peut aider certains projets à se monter. Maintenant, toute cette com, comme tu dis, me fait marrer, mais ne m’intéresse pas. Je vais de moins en moins dans les soirées et je me recentre sur l’essentiel. Je n’ai pas envie qu’on se souvienne de moi pour avoir été, à un moment donné,  » Kad Merad, le bankable « . D’ailleurs, j’en ai marre que certains limitent ce métier à son aspect financier et que d’autres ne soient ex-cités que par notre intimité. Comédien est un travail plus important qu’on ne le croit. Chaque année, un quotidien [Le Figaro] publie les salaires des acteurs et des actrices. Et souligne qu’Untel a gagné 2 millions d’euros. C’est vrai. Le cinéma est une industrie qui brasse beaucoup d’argent. Il est normal que les acteurs fassent partie de la chaîne et en profitent. On prend des risques et on est là du début à la fin. Mais il faudrait aussi expliquer que, si on est bien payé pour un film, on peut ne pas l’être du tout pour un autre.

X. G. : D’ailleurs, pour Superstar, tu as fait un effort sur ton cachet.

K. M. : Et si cela avait été nécessaire, je l’aurais fait pour rien. X. G. : Tu aurais pu me le dire avant ! Maintenant, à propos d’argent, l’idée que de plus en plus de comédiens et de comédiennes deviennent des hommes – ou des femmes – sandwichs me gêne. Il y a là une soumission aux valeurs que les artistes devraient combattre. Voilà pourquoi j’adore Cécile de France [partenaire de Kad Merad dans Superstar] : elle conserve une forme de liberté unique en refusant toute compromission. Quand je vois une actrice poser avec un sac qui représente six mois de salaire pour une caissière, j’aurai du mal à la croire quand elle jouera elle-même une caissière dans un film.

La célébrité n’est-elle pas finalement un fardeau ?

K. M. : On peut très bien la vivre si on l’assume. Et, pour me simplifier l’existence, j’ai imposé des règles. Quand je suis en famille, à savoir avec mon fils ou avec ma femme, je ne suis plus avec le public. Et quand je suis seul et que je sors : plus de photos à partir de minuit. Tout le monde le comprend très bien. Les gens ne sont pas cons.

X. G. : Moi, je pense que l’envie de célébrité que chacun devrait prétendument éprouver est un cliché créé par les journalistes. Je n’y crois pas. Ce bouillonnement est factice. Le public veut voir de vrais artistes, des acteurs authentiques, des chanteurs sincères. Avec Marcia Romano, ma très précieuse collaboratrice avec qui je travaille mes scénarios en amont comme pour une enquête, nous nous sommes dit que la figure de la modernité, aujourd’hui, c’est un homme qui dit non. Qui refuse la célébrité. Et son drame est que ce refus devient la raison de sa popularité. Cette folie, créée notamment par les réseaux sociaux, tourne à l’absurdité totale. Il y a quelques jours, après une projection de Superstar pour des amis, je prends un verre, je discuteà Dix minutes plus tard, une de mes phrases se retrouve sur Twitter. Heureusement, c’était gentil. Mais que faire si j’avais eu un propos désagréable ? Un démenti ? Pour qu’ensuite on me demande pourquoi je démens ? C’est sans fin. Encore que le phénomène ne date pas d’hier. William Randolph Hearst [grand patron de presse américain dans les années 1920] disait :  » Une information et un démenti, c’est déjà deux événements.  »

K. M. : J’avoue avoir une page officielle sur Facebook. Mais c’est tout de même étrange, ce principe d' » amis  » qu’il faut accepter ou pas. En avoir 10 000 ou 20 000 n’a aucun sens. Je ne refuse pas les réseaux sociaux : ils existent, il faut en tenir compte, mais je les trouve un peu agressifs. D’accord, nos enfants vivront avec. Reste que je suis très gêné par la manière dont les gens étalent leur vie privée à grands renforts de photos personnelles.

X. G. : Un autre cliché consiste à dire qu’il n’y a plus de vie privée. Je pense plutôt qu’il n’y a plus de vie publique. Je m’explique. La vie publique est un moment où chacun se soumet à un certain nombre de règles afin que vivre ensemble soit possible. Aujourd’hui, ces règles sont mises en pièces par les réseaux sociaux, qui ont décuplé un narcissisme délirant où l’individu est persuadé que son quotidien intéresse tout le monde. Cet exhibitionnisme m’effraie. C’est le signe d’un profond désarroi. Vivre ensemble, c’est faire place à la nuance. En 140 signes [la longueur d’un tweet], ça va être compliqué de nuancer les avis. Tout deviendra alors caricatural, pour la seule raison qu’il faut être le premier à tweeter. Je trouve cette forme d’hédonisme inquiétante. Superstar pose une question : que gagne-t-on et que perd-on à devenir célèbre ? C’est ma façon d’interroger les valeurs de notre époque.

Superstar, de Xavier Giannoli. En salles le 29 août. Lire la critique du film dans Focus Vif.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CARRIÈRE

 » Je suis très gêné par la manière dont les gens étalent leur vie privée à grands renforts de photos personnelles « 

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