Ane! Fils d’âne!

Philippe Blasband prend le public en otage, durant cinq heures, pour lui raconter l’histoire du monde-village et la folie des hommes

Il était une fois… la longue, la très longue histoire d’un village oublié au-delà des montagnes iraniennes. Un village gommé des cartes administratives depuis le tremblement de terre qui a secoué le pays. Les Païnis ont perdu leurs maisons. Ils sont abrités par les Kazémis. La tradition de l’aumône… Mais le village s’est construit sur la haine, miné par les luttes de pouvoir entre le bourgmestre, le mollah, les nobles, les riches propriétaires et ceux qui possèdent le savoir-faire, cordonnier ou tailleur. Le village perdu semble condamné à un funeste destin.

Jusqu’à ce que Mamad Aghâ Mossio, le frère dénigré du bourgmestre, celui que personne n’attendait, tente de renverser le cours de l’histoire, en imaginant un monde nouveau. Mais les hommes ne sont que des ânes, des fils d’ânes, qui, pour défendre la liberté, tuent la liberté. Ils ne connaissent que la guerre, les massacres, le sang, et n’écoutent pas le derviche visionnaire qui avait pourtant tout prédit. Mamad se révèle un dictateur aveugle, qui sème la mort autour de lui, avilit les femmes et dépersonnalise les hommes. Eternel recommencement de l’Histoire. Le Rwanda, Pinochet, l’intégrisme, l’esclavage, les camps de la honte, le rideau de fer… Le monde n’est qu’un village dont les habitants se détruisent mutuellement. Seul le néant les délivrera.

Philippe Blasband nous avait habitué à des pièces de théâtre plutôt courtes. Cette fois, pour ce qu’il annonce être sa dernière pièce, il s’est complètement lâché. La saga du village oublié dure cinq heures, entracte compris! Cinq heures de scène: une véritable performance pour le public, mais, surtout, pour les cinq comédiens (Véronique Dumont, Olivier Thomas, Erico Salamone, Cécilia Kankonda, Brigitte Dedry) qui interprètent, avec une virtuosité de jongleur, une quarantaine de personnages différents. C’est un pari fou, auquel tout le monde ne souscrit, certes, pas. Qui ose encore aujourd’hui s’arrêter et s’asseoir pendant cinq heures d’affilée, pour regarder le monde tourner? Et pourtant, dans son délire sur la folie des hommes, Blasband, le fabuleux conteur, parvient à nous tenir en haleine. Les éclairages très subtils de Xavier Lauwers, le décor tout en voiles d’Olivier Waterkeyn et les costumes baroques de Zouzou Leyens y contribuent bellement.

Bruxelles, théâtre Varia, à 19h30, jusqu’au 22 décembre. Tél.: 02-640 82 58.

Thierry Denoël

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