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Americanah

Une fois par mois, l’écrivaine Caroline Lamarche sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

Dans une des conférences intelligentes et drôles dont elle a le secret, Chimamanda Ngozi Adichie met en garde contre  » le danger de l’histoire unique « , à savoir une vision du monde occidentalo-centrée. Rien de tel dans Americanah (1) qui décrit avec brio les différentes facettes du racisme à l’américaine, vu par une jeune Nigériane de la classe moyenne partie étudier aux Etats-Unis.

Comme son aîné Wole Soyinka, premier lauréat noir du Nobel de littérature, Adichie a passé plusieurs années en exil avant de décider de revenir au pays. Cette position d’entre-deux donne des récits aussi lucides qu’ironiques. La protagoniste d’ Americanah, qui ne s’appelle pas Jane ou Ruth comme ses amies afro-américaines, mais Ifemelu, renonce à se faire défriser les cheveux et à parler un anglais aseptisé. Surtout, elle s’étonne : au Nigeria, elle était un être humain, aux USA  » tu deviens noir « , donc en proie aux questions idiotes et au mépris ordinaire. Elle réagit en publiant ses observations sur son blog, dont les chroniques intitulées Les Cheveux comme métaphore de la race ou La Race est-elle une invention ou non ou encore Le Tribalisme américain, recueillent un immense succès.

Chimamanda Ngozi Adichie, romancière  de la
Chimamanda Ngozi Adichie, romancière de la  » migritude « .© belgaimage

Déçue du rêve américain, elle finit par revenir à Lagos, sa ville natale, où elle retrouve le sentiment de ne plus être noire sans pour autant s’y sentir vraiment chez elle. Elle a changé, le Nigeria a changé. Désormais, sa maison sera l’écriture. Le lecteur curieux découvrira que le blog du roman existe réellement sur le Web, signé là-aussi Ifemelu, prête-nom d’Adichie. Laquelle a posté en 2015 une page intitulée  » Quand un homme noir est abattu par un policier blanc, il devient un « voyou » (When a Black Man is Shot by a White Police Officer, He Becomes a « Thug »).  »

Le 25 mai dernier, la mort de George Floyd a changé la donne. A l’avenir, quand un Noir sera assassiné par un Blanc, il ne sera plus jamais un  » voyou « .  » Black Lives Matter !  » Cette revendication vitale, nous la portons aujourd’hui ensemble, quelle que soit la couleur de notre peau. Bien avant nous, des écrivains, des cinéastes avaient tracé la voie. En juin 1950, le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire fit l’effet d’une bombe. En 1968, après l’assassinat de Martin Luther King, Romain Gary écrit Chien blanc. En 1999, Chantal Akerman répond par le sobre et poignant Sud à la torture et au meurtre de James Byrd. Comment peut-on, dès lors, réduire nos diversités aux étiquettes  » Blanc  » et  » Noir  » ? Certes, il est d’autres mots pour rendre compte d’une réalité en constante (r)évolution. Ainsi on dit d’ Americanah qu’il est le roman de la  » migritude « , autrement dit qu’il appartient à une littérature africaine qui s’épanouit surtout à l’étranger. Le mot rend obsolète la  » négritude  » de Césaire et Senghor, contre laquelle avait déjà réagi Soyinka :  » Un tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore.  » Les écrivains de la diaspora africaine sont de jeunes tigres. Sans s’autoproclamer  » Noirs « , simplement en racontant leurs histoires, ils ont trouvé la meilleure façon de dévorer les identités meurtrières.

(1) Americanah, par Chimamanda Ngozi Adichie, traduit de l'anglais (Nigeria) par Anne Damour, Folio Gallimard, 685 p.
(1) Americanah, par Chimamanda Ngozi Adichie, traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour, Folio Gallimard, 685 p.

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