Ambiance électrique chez les Loups

Sur fond d’impertinence et de comptes communaux repoussés, la campagne électorale aura été chaude à La Louvière. Sans parler du dossier noir Progès qui intéresse les enquêteurs de l’UE.

Le bourgmestre sortant la joue  » force tranquille « . Le climat électoral semble pourtant électrique à La Louvière.  » A part les gesticulations d’une personne, tout se passe bien « , soutient Jacques Gobert (PS), placide. Une personne ? Il s’agit en réalité d’un parti. Pour se faire voir durant cette campagne, Ecolo a décidé de détourner temporairement des £uvres d’art installées dans la ville.

Les Verts ont d’abord muselé La Louve, la statue qui symbolise l’origine mythique de la cité. Puis, il se sont attaqués au monument de La Paix devant la maison communale. Ils ont affublé les deux personnages de pierre d’une écharpe maïorale et d’une canne blanche, pour dénoncer ce qu’ils appellent l’aveuglement mutuel des deux partenaires de la majorité. Le socle a été entouré de panneaux de bois transpirant des noms de dossiers délicats pour la Ville, dont l’affaire Progès. L’£uvre, rebaptisée L’Opressoir…

Cette fois, le maïeur a vu rouge. Les forces de l’ordre ont été déférées. L’agent constatateur a dressé un procès-verbal de ce crime de lèse-majesté, avant de faire enlever l’habillage amovible. La locale d’Ecolo avait signé son méfait en laissant les coordonnées d’un de ses candidats sur un panneau. Didier Cremer – c’est le nom du coupable – a reçu fin septembre une lettre en recommandé du fonctionnaire sanctionnateur lui signifiant que l’infraction (affichage sauvage) ferait l’objet d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 250 euros.

 » Je ne savais pas qu’un procès-verbal avait été dressé, s’étonne Jacques Gobert. Le fonctionnaire sanctionnateur travaille en toute indépendance dans les bureaux de la Province. Je ne suis pas informé de tous les PV. Il y en a des centaines par mois… Je reçois les rapports des semaines plus tard.  » La force tranquille, toujours.

Ecolo n’a pas manqué de souligner le manque d’humour de la majorité, regrettant que l’impertinence n’était tolérée par la Ville que lorsque celle-ci la subsidiait. En effet, se réclamant d’Achille Chavée, le projet  » La Louvière Métropole Culture 2012  » encourage la participation impertinente des citoyens : dans ce cadre, des tags ont été réalisés par des jeunes sur des murs urbains.  » Tous les permis requis ont été sollicités, soutient Gobert. Les tags ont vu le jour sur des murs publics et privés avec l’accord de leur propriétaire.  » Deux poids, deux mesures ?  » On ne peut pas mettre dans le même sac une £uvre artistique et la souillure d’une £uvre d’art !  » tranche le bourgmestre.

De l’ambiance, il y en avait aussi au dernier conseil communal, fin juillet. On y attendait les comptes 2011 de la Ville. Ils ne sont jamais arrivés et n’arriveront pas avant le 22 octobre, date du prochain conseil communal. Soit après… les élections. Il n’en fallait pas davantage pour que l’opposition CDH-Ecolo s’en gargarise durant la campagne, en suspectant que les comptes du budget 2011 soient dans le rouge. La majorité aurait-elle man£uvré pour que ceux-ci ne soient pas rendus publics avant le scrutin de ce 14 octobre ?  » Ridicule, ricane Jacques Gobert, un rien moins tranquille. Vous verrez bien le 22. « 

Si le Collège a refusé, pour l’heure, d’avaliser les comptes, c’est officiellement parce qu’il avait une série de questions à poser à la receveuse communale. Il semble qu’en coulisses les relations entre les deux soient tendues. Une source proche de la Ville nous dit qu’une partie du budget  » Travaux  » aurait été engagée pour payer le personnel communal.

 » Ridicule ! C’est une accusation grave que je démens catégoriquement, une calomnie de bas étage « , s’étrangle le bourgmestre socialiste qui a dû, cet été, calmer un incendie social au sein de son personnel en promettant de rencontrer ses revendications après les élections. Et Gobert d’insister :  » La Ville est bien gérée. En six ans, nous avons présenté six budgets en équilibre et réduit la dette de La Louvière de 21 millions d’euros. Je peux être fier de notre bilan financier.  » Rendez-vous donc le 22.

L’abcès Progès, toujours pas percé

Cette mandature se termine également avec l’affaire Progès en toile de fond. Ce dossier noir pourrait encore pourrir la vie de la prochaine majorité communale.

Flash-back : Progès est une ASBL louviéroise qui a bénéficié, entre 1998 et 2001, de fonds européens Urban II pour mettre en route d’ambitieux projets d’économie sociale dans le quartier déshérité de Bois-du-Luc, avec des emplois à la clé ( lire Le Vif/L’Express du 18 mars 2011). Mais la machine s’est vite déglinguée. L’ASBL est tombée en faillite et ses cinq satellites ont été dissous.

Une mésaventure qui a tourné au vinaigre pour La Louvière, car Progès a laissé une ardoise de 600 000 euros auprès de la banque Nagelmackers. Celle-ci, reprise par Delta Lloyd depuis lors, avait avancé cette somme pour préfinancer l’action de l’ASBL. Elle s’est tournée vers la Ville pour récupérer sa mise. Curieusement, le Collège louviérois avait dénoncé les conventions qui le liaient à Progès pour des actes de mauvaises gestion, mais il a attendu près de dix ans avant de porter plainte contre X (soit après la publication du dossier dans Le Vif/L’Express et après un conseil communal particulièrement houleux). Et pour cause : la plupart des administrateurs de l’ASBL étaient des éminences socialistes de La Louvière ou de la région du Centre, échevins, chef de cabinet du bourgmestre, syndicalistes, etc.

Aujourd’hui, une instruction judiciaire est en cours au parquet de Mons, chez le juge Pierre Pilette. Nous avons aussi appris que, désormais, l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) s’était emparé du dossier Progès. Cet organe de la Commission européenne, qui veille entre autres à la bonne destination des fonds de l’UE, n’agit généralement pas très vite mais a de la suite dans les idées : 3 500 enquêtes abouties et 1,1 milliard d’euros recouverts depuis 1999.

Quel risque pour La Louvière ? Celui de devoir rembourser les fonds Urban II (300 millions de FB), si l’Olaf démontre que le projet ne répondait pas aux exigences européennes. C’est arrivé à la Ville de Marseille, sans défrayer la chronique. L’Olaf pourrait surtout s’intéresser à l’ensemble du projet Urban qui, pour s’inscrire dans les critères territoriaux de la Commission, a été étendu à la cité du Coq de Jemappes, près de Mons. Ici aussi, il s’agissait de favoriser l’emploi dans un quartier défavorisé. C’est l’ASBL EcoMons qui gérait le volet montois du programme et rédigeait un rapport d’activité global aux deux agences conseils pour l’Union européenne.

Dans ces rapports, toutes les dépenses prévues ont bien été engagées. Reste que, selon une évaluation de la société GHK, si les projets Urban engagés à Mons et La Louvière, entre 1994 et 1999, ont rempli leurs obligations en matière de rénovation des infrastructures (voiries, égouttages…), ils n’ont rien vu aboutir sur le plan socio-économique. En décidant d’y mettre son nez, l’Olaf pourrait bien troubler la tranquillité du bourgmestre Gobert. Et même au-delà.

THIERRY DENOËL

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