Caroline Lamarche

Alors survient le trouble…

Une fois par mois, l’écrivaine belge sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

« La peur des tempêtes, c’est d’une autre époque, ce n’est pas pour eux. Aujourd’hui, tout est sous contrôle, la santé, la météo, leurs voyages et même leur bêtise: sous contrôle. » Dans Ultramarins (1), Mariette Navarro, dramaturge dans la vie, met en scène la commandante d’un cargo marchand et son équipage. Un jour naît la proposition, venue des hommes, d’une déconnexion des moteurs et des radars qui les relient au monde et d’une baignade dans l’océan « à des milliers de kilomètres de toute plage ». Moment de lâcher-prise, plongée joyeuse dans une autre dimension, qu’observe la commandante restée sur le bateau à l’arrêt. La suite prendra la forme d’un effacement des repères et d’un vertige qui colorera de vulnérabilité l’inévitable retour à bord.

Déposé au bord d'une plage, d'où la mer toujours reculerait...
Déposé au bord d’une plage, d’où la mer toujours reculerait…© LAURENT QUILLET

Peut-on être fort et fragile à la fois? La question court aussi dans La Nostalgie de l’aile (2), de Pascal Goffaux, homme de radio, auteur d’un premier livre dont on retiendra l’atmosphère aussi poignante que légère. Soit un enfant né comme à reculons, à l’ombre d’un autre, mort, et d’un grand frère « manqué ». Rarement l’intime a été confié avec autant de finesse, sans rien lâcher de la mélancolie d’une existence flottante, déposée sur un berceau vide ou au bord d’une plage d’où la mer toujours reculerait. Un univers qui touche et qui trouble: « Est-ce une lutte qui s’engage ou est-ce une danse que l’homme exécute avec l’ange? » Au-delà de ce que Pascal Goffaux nomme « un tango de l’ âme » et Mariette Navarro « un chant retenu », il y a la consolation de deux récits libres, cousus de solitude et de liens.

Ultramarins, par Mariette Navarro, Quidam éditeur, 147 p.
Ultramarins, par Mariette Navarro, Quidam éditeur, 147 p.

Pourquoi en parler ici? Parce que ces ovnis, sous leur belle couverture si graphiquement accordée au propos, se détachent dans une rentrée littéraire 2021 sous labels plus classiques. Parce qu’ils nous procurent un moment de contemplation comparable à ce qu’on expérimente lorsque le regard s’abandonne au flux et au reflux des vagues. Mais aussi parce qu’ils viennent à point pour contrebalancer les sombres nouvelles d’un monde coupé de ses ressources spirituelles. Qu’ à l’heure de la COP26 qui avait été présentée comme celle de la dernière chance, les gouvernements voient dans les océans un réservoir de métaux rares plutôt qu’un continent à sauver ; qu’au large du Yémen aux dix mille enfants tués ou blessés par la guerre, le FSO Safer, un pétrolier abandonné, menace les eaux marines d’une pollution catastrophique ; bref, que la planète part à vau-l’eau sans que personne n’arrête sa course vers l’abîme… Que peut donc l’art face à un monde qui s’est voulu aussi automatisé qu’un navire de dernière génération et qui, pourtant, a perdu le contrôle? Comment faire un plongeon de côté, avouer sa fragilité, pénétrer une autre dimension, croire encore en l’humain? La réponse est dans certains livres qui nous rendent courage en toute subtilité et bonté.

La Nostalgie de l'aile, par Pascal Goffaux, photographies de L aurent Quillet, éd. Esperluète, 79 p.
La Nostalgie de l’aile, par Pascal Goffaux, photographies de L aurent Quillet, éd. Esperluète, 79 p.

(1) Ultramarins, par Mariette Navarro, Quidam éditeur, 147 p.

(2) La Nostalgie de l’aile, par Pascal Goffaux, photographies de L aurent Quillet, éd. Esperluète, 79 p.

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