Alors, quoi?

Fernand Cuvelier, décédé l’an passé à l’âge de 75 ans, n’aura pas vu la publication de son dernier roman, Les Nuits d’Oxford. Sans doute connaît-on davantage le spécialiste de l’édition internationale et auteur de la remarquable Histoire du livre, voie royale de l’esprit humain que le poète et le romancier. Et il est vrai, pourtant, que ce franc-tireur des lettres et dilettante – au sens noble de la « délectation » pour tout ce qui a trait à l’esprit et à l’esthétique -, grandement négligé ou méconnu par ses pairs, laisse une oeuvre plus qu’attachante, marquée par la finesse de la pensée et par la maîtrise de l’écriture. Et aussi par une élégance altière, mais modulée par cet humour, peut-être glané sur les bancs d’Oxford qu’il a fréquentés, dont s’arme l’intelligence contre ses prétentions ou ses illusions. Un titre parmi d’autres, La Chose et son contraire, pourrait, somme toute, patronner la dialectique d’un homme pour qui le doute est l’aiguillon de la pensée et pour qui les certitudes n’ont droit de cité que dans le rapport intime et poétique de l’homme avec lui-même.

Avec Les Nuits d’Oxford, Fernand Cuvelier évoque, dans le décor universitaire qu’il connaît bien, la balade d’un homme de science rameutant souvenirs et réflexions en pagaille, en attendant de retrouver un vieux professeur pour un de ces médianoches dont ils sont coutumiers. Cette évocation est elle-même un souvenir déterminant pour ce personnage affronté à sa mort imminente et que l’auteur appelle Stephen X. Comment douter que ce « X » de l’anonymat ne recouvre aussi l’énigme identitaire que Stephen se pose à son propre sujet? On relève à cet égard le double sens que peut exprimer une phrase comme « Que suis-je pour me croire moi-même? » Penché sur son passé et sur les rencontres qui l’ont façonné, c’est entre tous les contraires possibles que sa vérité à la fois le rejoint et le fuit. A travers nombre d’illusions et de mensonges (à commencer par celui de son mariage avec une sorte de « scoutesse », militante de l’altruisme clérical), entre hédonisme et mysticisme, entre l’appel de la foi et le scepticisme. On le voit aussi fasciné par le personnage d’un improbable Jésus qui serait athée avec les athées… Reste la beauté, mais comme les fleurs qu’il adore, toujours compagne de l’éphémère. Alors, quoi? C’est sur une sorte d’évasion insolente dans le réalisme magique que l’auteur élude l’impossible réponse et « ouvre » la fin de ce roman riche de réflexion sur les abîmes insondables creusés par la lucidité.

Les Nuits d’Oxford, par Fernand Cuvelier. L’Harmattan, 140 p.

DE GHISLAIN COTTON

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