Carla Bruni s'est frottée à des reprises, certaines très surprenantes comme Highway to Hell, d'AC/DC. © ERIC J. GUILLEMAIN

Airs de rien

Sur son nouvel album, arrangé par le Canadien David Foster, Carla Bruni se fait plaisir en reprenant une dizaine de standards et autres tubes en anglais, d’Abba aux Rolling Stones. Rencontre.

Quelques minutes avant l’interview, l’attachée de presse prévient : pas de questions politiques. On aurait pu le deviner. Son  » mec  » – comme elle appelle Nicolas Sarkozy – a beau avoir annoncé se mettre en retrait de la vie politique française, Carla Bruni ne connaît que trop l’impact qu’aurait la moindre des déclarations si elle s’aventurait sur ce terrain. En fait, même en ne disant rien, l’ex-première dame est sujette aux commentaires. Comme quand, sur son album précédent Little French Songs, sorti en 2013, le morceau Le Pingouin était forcément interprété comme une pique lancée à celui qui venait alors de déloger son mari du  » trône  » présidentiel, François Hollande –  » On vient lui manger dans la main/Il adore ça le pingouin/Il prend son petit air souverain « .

Un geste simple

Cette fois, pour qui serait tenté de décrypter l’un ou l’autre message caché, la tâche sera donc encore plus compliquée. Quinze ans après le triomphe inattendu de Quelqu’un m’a dit (deux millions de disques vendus), Carla Bruni s’amuse aujourd’hui à se planquer derrière les chansons des autres. Son cinquième album est en effet constitué uniquement de reprises. Intitulé French Touch, il est chanté entièrement en anglais. Des standards essentiellement (Moon River, Stand By Your Man), ou en tout cas des tubes assez énormes (The Winner Takes It All d’Abba, Highway to Hell d’AC/DC) que pour avoir été vidés depuis longtemps de tout sens ou portée éventuelle.

L’opus ne cache pas son envie de séduire éventuellement le marché américain. L’idée est d’ailleurs née là-bas, de la rencontre entre la chanteuse et le compositeur et arrangeur canadien David Foster.  » On a fait connaissance en 2014. Il a assisté à l’un de mes concerts, à Los Angeles. Le lendemain, il est venu me trouver pour me proposer de faire quelque chose ensemble. Mais le problème est que je n’écris pas en anglais. Il aurait fallu trouver un coauteur, et ça devenait compliqué. Plus tard, il est revenu à la charge en me proposant d’enregistrer des covers. Il est venu à Paris, on a déjeuné, et je lui ai joué toute une série de chansons, simplement, comme je les joue depuis que je suis ado. Puisqu’avant d’écrire mes propres chansons, j’ai longtemps joué celles des autres. Ça reste la meilleure école.  » En tant qu’arrangeur, Foster n’a pas toujours fait dans la dentelle : fan des grandes orchestrations variété-pop pétaradantes, il s’est aussi fait une spécialité des albums de Noël (pour Céline Dion, Andrea Bocelli, Josh Groban, Michael Bublé, etc.).  » C’est vrai qu’il aime les ensembles classiques, avec beaucoup de cordes, plein d’effets, etc. Mais il a également réalisé des choses avec Diana Krall, qui sont beaucoup plus simples. Je crois qu’en fait, il avait juste envie de produire quelque chose avec ma voix.  » D’où des arrangements folk-jazz en effet plus feutrés, pour un disque bourgeois un peu paresseux, léger au point d’en devenir évanescent.

C’est que le geste est simple, insiste Carla Bruni. Il ne faudrait pas voir dans l’exercice autre chose qu’une récréation. Avec cet intérêt supplémentaire qu’il permet pour une fois de se cacher derrière les mots des autres ?  » Oh vous savez, c’est surtout un album de chanteuses. Et nous, les chanteurs, on ne se complique pas trop la vie. On ne se prend pas la tête tout le temps pour tout. En réalité, on ne se la prend même pour rien. C’est pour ça qu’on fait ce métier-là. Quand j’ai la chance de faire de la promo comme maintenant, les gens me demandent souvent pourquoi j’ai écrit ceci ou cela. Mais je n’en sais rien ! En fait, je n’en ai même rien à faire de l’expliquer. Ça ne m’intéresse pas. En plus, j’ai peur d’enlever quelque chose du mystère. Expliquez-moi vous, pourquoi vous aimez telle personne et pas une autre ? Vous pouvez me dresser une liste de qualités que vous appréciez chez elle, certes, mais la vérité, c’est qu’il y a des gens qu’on aime et des gens qu’on n’aime pas. Point. Tout n’est pas explicable tout le temps, tout n’est pas toujours analysable. En particulier, les choses les plus importantes de la vie : le désir, l’amour, la mort, le destin, la transcendance, etc.  »

Avant, c’était mieux

On est pourtant convaincu qu’un album, y compris de reprises, n’est jamais complètement innocent.  » Non, mais il n’est pas coupable non plus.  » Pudeur aristocratique ? Retenue des sentiments ? Ou véritable superficialité assumée ? Allez savoir. A travers le choix des titres, un tel disque ne peut-il toutefois pas en dire ne serait-ce qu’un peu sur son interprète ? Exemple : le morceau le plus  » récent  » de la sélection – Enjoy the Silence, de Depeche Mode – date de… 1990.  » Ça indique probablement que je suis très nostalgique. C’est vrai que je trouve toujours qu’avant c’était mieux. Même si je sais que j’ai tort.  »

Les notes de pochette apprennent encore que la confection de French Touch s’est principalement déroulée entre Paris et Los Angeles. Vingt morceaux enregistrés, onze gardés finalement.Sur quelle base s’est faite la sélection ?  » Oh ben, c’est très hasardeux. C’est difficile de croire que ça s’est fait sans aucune logique, mais pourtant ça l’est…  » Nouveau coup dans l’eau. A moins que…  » Disons qu’on a notamment privilégié les reprises qui étaient les plus transformées par rapport aux versions originales.  » A l’instar de la relecture acoustique du Highway to Hell d’AC/DC, ou du Miss You des Rolling Stones et sa guitare flamenco.  » Il n’y avait que Stand By Your Man de Tammy Wynette et Moon River auxquelles on n’a pas trop touché. Parce qu’elles sont impossibles à bouger. La première, si on change le tempo country, on perd tout. La seconde est parfaite. C’est évidemment lié au souvenir de cinéma : Audrey Hepburn assise sur cet escalier à New York, en train de chanter avec son ukulele. Sa version est tellement simple et magnifiquement fragile. On ne peut que la réinterpréter.  »

Plus loin, par contre, le Perfect Day de Lou Reed prend des airs de musette, tandis que le Jimmy Jazz de The Clash a été expurgé de son sous-texte punk politique.  » Oui, c’est vrai, je n’en ai pas tenu compte… Mais bon, big deal ! Le monde entier chante les chansons des autres toute la journée : dans les concerts, dans le métro, sur Internet. Moi-même, j’ai trouvé plein de gens qui chantaient mes chansons sur le Web. C’est fait pour ça une chanson, pour voyager, faire plaisir aux gens. Pas pour grand-chose d’autre.  » Modestie des ambitions. Et du résultat.

Carla Bruni, French Touch, distr. Universal. En concert le 17 janvier 2018, à De Roma, à Anvers.

PAR LAURENT HOEBRECHTS

 » Expliquez-moi vous, pourquoi vous aimez telle personne et pas une autre ?  »

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