L'Institut Benjamenta, de Robert Walser, mis en scène par Bérengère Vantusso. © ivan boccara

Ainsi font les marionnettes

On a vu entrer la danse, la performance et le cirque contemporain à l’intérieur de ces grandes institutions culturelles qu’on appelle encore  » théâtre « . La marionnette est également de retour. Une reconnaissance fragile.

Sans doute la France a-t-elle une longueur d’avance, avec son festival mondial des théâtres de marionnettes et son Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette (Esnam). A Charleville-Mézières (dans les Ardennes françaises), en ce moment comme tous les deux ans, des marionnettistes venus de Russie, de Finlande, d’Israël ou d’Inde se retrouvent au Festival mondial des théâtres de marionnettes. Cette année, notre compatriote Agnès Limbos (cie Gare centrale), figure centrale du théâtre d’objets, en est l’invitée d’honneur. L’occasion de pas mal de découvertes. Comme L’Institut Benjamenta, l’oeuvre de Robert Walser mise en scène par Bérangère Vantusso avec une dizaine de marionnettes portées, hyperréalistes, à taille humaine, inspirées du peintre flamand Michaël Borremans. Un huis clos troublant dans une école où le désir d’obéissance de Jacob se transforme peu à peu en transgression…

Le retour des marionnettes dans le théâtre adulte : une aventure, une révolution, une évolution ? Anne-Françoise Cabanis, directrice du festival explique :  » La mutation contemporaine de la marionnette s’est opérée dans les années 1970-1980, au moment où le castelet, son cadre, a « explosé ». Désormais visibles, le marionnettiste et sa marionnette peuvent investir de grands plateaux. On peut collaborer avec d’autres disciplines contemporaines comme la danse, les arts plastiques et le numérique. On peut donner au texte un nouvel éclairage, inventer des univers. C’est le cas dans le théâtre d’objets d’Agnès Limbos, où ce n’est pas tant l’objet qui compte mais sa manipulation. La marionnette s’est invitée dans le théâtre et s’est mobilisée pour dire : ne nous limitez pas au théâtre pour enfants.  »

Les programmes le montrent : la marionnette a le vent en poupe. En 2008, au théâtre bruxellois de la Balsamine, on découvrait L’Ecole des ventriloques de Jodorowsky, avec des marionnettes à taille humaine de Natacha Belova, aux gueules expressionnistes, à la Otto Dix. Dix ans plus tard, le spectacle sera cette saison à l’affiche du Théâtre 140 (en mai 2018). Une autre des créations attendues de la saison (mars 2018, Théâtre national et Mars-Mons) sera la Frankenstein de Mary Shelley, mis en scène par Jan-Christoph Gockel, avec le marionnettiste Michael Pietsch. La marionnette s’invite aussi au prochain Festival du film francophone (FIFF) à Namur. Celui qui sait saura qui je suis, un documentairede Sarah Moon Howe, filme un jeune Ukrainien qui dénonce les mauvais traitements dans les hôpitaux psychiatriques.

Une de nos compagnies phares reste le Tof Théâtre (30 ans cette saison) d’Alain Moreau que l’on retrouvera cette saison au Théâtre national et au Varia.  » Je voulais sortir de l’ombre, rompre le cercle fermé, le « genre marionnette ». J’ai donc sensibilisé plusieurs théâtres, dont le National, qui nous donnent plus de visibilité, explique Alain Moreau. Le théâtre s’ouvre à d’autres techniques et disciplines comme le cirque. Et les écoles initient les jeunes comédiens à l’écriture de la marionnette.  » Pourtant, la marionnette adulte a du mal à voler de ses propres ailes.  » Pour le public, la presse, les programmateurs, la marionnette est liée à un jeune public. Dans mon spectacle Les Zakouskis Erotiks, j’ai dû refuser les enfants à la porte du théâtre. On me disait : « Ça ne va pas ! Ce sont des marionnettes ! » Le titre était clair pourtant ! Je fais du théâtre avant tout, avec une dramaturgie et des personnages. Dans J’y pense et puis…, la marionnette manipule… la marionnette sur le problème des migrants. Et même quand je m’adresse plus spécifiquement aux enfants, comme dans ma prochaine création, Poupée barbue, je veux les bousculer sur les stéréotypes de genres.  »

Centre de la marionnette

A Tournai, le Centre de la marionnette mériterait sans doute plus de soutien de la part de la FWB. Il dispose d’un musée sympa mais  » riquiqui  » de quelques centaines de pièces exposées alors qu’il en possède plus de 2 500. Le volet contemporain se fait par des expos temporaires puisque, rappelle sa directrice et marionnettiste Françoise Houtteman-Flabat,  » les marionnettes contemporaines sont encore utilisées par leurs artistes « . Du 26 au 30 septembre, le centre organise le festival Découvertes images et marionnettes. Au programme : Cendres (des marionnettes à taille humaine et de la vidéo), Anywhere (une marionnette de glace et de matières animées) et, sur la Grand-Place, un carrousel inspiré de l’univers de Jérôme Bosch de la compagnie flamande FroeFroe.

Plus discret est le soutien aux artistes de la section francophone de l’Unima (l’Union internationale de la marionnette), qu’on retrouvera à Liège, placée sous le signe de la marionnette en 2018. On y verra notamment des spectacles comme Bug, de Giulia Palermo, manipulant une marionnette à taille humaine, une vieille dame, toute en lenteur, à La Halte, à Liège, le 26 octobre prochain dans le cadre du festival Voix de femmes.

Enfin, la Belgique héberge une marionnettiste de réputation internationale, Natacha Belova, qui donne des formations aux quatre coins du monde, au Brésil, au Portugal, en Italie…  » Il y a très peu d’écoles, d’où une nécessité forte de formation, alors que 80 % des marionnettistes sont autodidactes comme moi, explique-t-elle. Je travaille avec de la glaise, de la résine, des matelas-mousse, des tissus, des photos, des visages que j’observe dans les transports en commun… Même une feuille d’automne, un papier chiffonné ou un sac plastique peuvent entrer dans l’imagination et puis sortir au détour d’une marionnette, selon les projets. Je suis actuellement dans le travail d’un spectacle sur l’univers de Goya avec la compagnie de danse Mossoux-Bonté, qui sortira en Belgique en 2019.  »

Des signes de vitalité qui ne doivent pas faire oublier que le théâtre avec marionnettes est encore fragile. Un manifeste est en cours.Françoise Houtteman-Flabat nous en dévoile les lignes :  » Il veut donner une visibilité à l’art de la marionnette et demande une reconnaissance majeure comme en bénéficient tous les autres arts : théâtre, danse, arts numériques, arts plastiques, etc. Il y a de plus en plus de spectacles avec marionnettes mais une difficulté, une frilosité de s’affirmer en tant que spectacle pour adultes. Les artistes éprouvent encore de la peine à vendre leurs créations.  »

Festival mondial des théâtres de marionnettes, à Charleville-Mézières, jusqu’au 24 septembre, www.festival-marionnette.com

Festival découvertes images et marionnettes, à Tournai, jusqu’au 30 septembre, www.festivalmarionnette.be

Par Nurten Aka

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