Affaires roulantes

Par un de ces matins blafards dont notre pays a le secret, peu avant 8 heures, E 33 a été repéré à une vitesse qui, en des temps et lieux moins laxistes, aurait valu à son conducteur un retrait de permis et une sanction pénale. 150 km/h.

E 33 ? La nouvelle autoroute ultra-rapide Liège-Bruxelles ? Quelque part entre l’E 40 et les nouvelles voies du Thalys ? Ou quelques mètres au-dessus de l’axe engorgé que l’on connaît, afin qu’il soit enfin permis aux véhicules de grosse cylindrée de voler bas ?

E 33 ? La très exhaustive directive 95/45/CE du 26 juillet 1995 établissant des critères de pureté spécifiques pour les colorants pouvant être utilisés dans les denrées alimentaires n’en connaît pas de ce nom. Mais recense par contre comme E 133 le bleu brillant FCF (FDF ?), décrit comme « poudre ou granules bleu-rouge, solution aqueuse bleue » avec « absorption maximale dans l’eau à environ 630 nm ». Dans l’alcool aussi ?

E 33 ? Les pandores flashant ont d’abord dû identifier le propriétaire du véhicule. Un bleu brillant ? Non, deux rouges plutôt pâles. Car, dans l’ivresse de la communautarisation de l’Etat et de l’inflation ministérielle, la célèbre DIV, tout occupée à réfléchir sur la couleur de plaques qui en font autant, a attribué à deux excellences la même désignation : l’une wallonne, en charge de l’Agriculture, et l’autre flamando-bruxelloise, en charge de la Mobilité, de la Lutte contre l’incendie et de l’Aide médicale urgente.

E 33 ? Celui de Namur ou die van Brussel ? On riait déjà: était-ce ce dernier, qui, heureux d’avoir dissous tous les bouchons, s’offrait une petite pointe de mobilité, courait éteindre un incendie ou jouait les ambulances ? Les rieurs en furent pour leurs frais : le Bruxellois n’était point l’auteur du forfait. Et ne se le serait jamais permis, précisa-t-il.

E 33 ? Le coupable est donc le ministre régional wallon en charge de l’Agriculture et de la Ruralité, autrefois connu comme Robin des bois de la frontière linguistique et bourgmestre éjectable des Fourons. Coupable ? Que nenni ! Le service de l’Etat – fut-il régional – est une maîtresses des plus exigeantes : consomme du temps, et n’attend point. L’intéressé se défend : ce matin-là, il devait être sur l’antenne d’une célèbre chaîne de radio privée pour « communiquer avec le public » (fin de citation). Et d’expliquer tranquillement, au journal de la télévision correspondante, tout heureuse de se gargariser de l’importance qui lui est ainsi reconnue, qu’il ne se sent nullement  » mauvais exemple « . Tout au contraire, il engage les quidams malintentionnés qui verraient encore voler son véhicule à prendre en modèle sa force de travail : « Si tout le monde faisait autant d’heures que moi !  » Bref, si parmi les 54 ministres et secrétaires d’Etat des six gouvernements du pays, seul E 33 circule à cette allure, c’est que ses 53 collègues se tournent les pouces. Et de préciser encore qu’il fallait cesser de penser la sécurité routière sous forme uniquement répressive. Exactement l’argument des lobbys automobiles, ceux qui considèrent les 1 500 morts annuels sur les routes comme une fatalité.

Pas de regret, alors ? Si, un. Bon prince, E 33 précise qu’il paie lui-même les amendes. Et donc qu’il ne les laisse pas à charge de son chauffeur. Mais sans gaieté de coeur : « Je pourrais utiliser cet argent à faire autre chose. » Ah oui, à quoi ? A tuner son 4 x 4 diesel BMW (qui a dit qu’il était anti-germanique ?), 3 litres et 184 CV, sans doute?

Les experts ne s’y sont pas trompés. Au Salon de l’agriculture, le prince huitième de ligne, en charge du bien-être des animaux, a annoncé que sa fondation n’appelait plus à manifester contre les mauvais traitements infligés par certains éleveurs. Et s’est réconcilié sous l’oeil ému des caméras avec l’écraseur de lapins de la E 40.

DE JONNAS GROINFEC

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