Affaire Chebeya Un film fort sur un procès fleuve

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

L’Affaire Chebeya, un crime d’Etat ? sort en Belgique, pas au Congo. Les pressions diplomatiques contraignent Thierry Michel à reporter de quelques mois la présentation de son film en RDC. Le sujet est jugé trop polémique.

La projection n’est pas souhaitable dans l’immédiat, alors que le Congo vit une période délicate de son histoire.  » Voilà, en substance, ce que les milieux diplomatiques belges ont fait savoir au cinéaste Thierry Michel, qui espérait pouvoir offrir aux Congolais la primeur de son nouveau film, consacré au procès des assassins présumés de Floribert Chebeya, le défenseur des droits de l’homme.

 » Présenter mon film à Kinshasa ce mois-ci, vingt ans après la  »Marche des chrétiens », grande manifestation anti-Mobutu pour laquelle Chebeya s’était engagé corps et âme, aurait été une belle façon de lui rendre hommage, confie le réalisateur belge. Mais les remous suscités par les récentes élections et la mise en place du nouveau gouvernement congolais rendent les chancelleries circonspectes. La question des droits de l’homme reste sensible au pays de Kabila. Le film devrait être projeté en juillet à Kinshasa, Kisangani et Bukavu, ville d’origine de Floribert. « 

L’enquête et les auditions

L’Affaire Chebeya, un crime d’Etat ?, qui sort en Belgique ce 29 février (1), revient sur l’enquête et sur les auditions, devant la Cour militaire, des policiers inculpés dans le crime de juin 2010. Le cinéaste a couvert les principales étapes du procès, après avoir suivi, la veille des festivités du 50e anniversaire de l’indépendance du Congo, les obsèques de Chebeya. Il a aussi rencontré la famille du directeur de l’ONG La Voix des sans-voix et celle de son chauffeur, Fidèle Bazana, toujours porté disparu. La veuve de Floribert est aujourd’hui réfugiée au Canada. Celle de Fidèle a rejoint la France. Les familles des victimes subissaient, à Kinshasa, des menaces et intimidations diverses : tentatives d’enlèvement, perte d’emploi, mutation en province…

 » Il y avait, dans ce drame, tous les ingrédients pour faire un film intense, estime Thierry Michel : une victime reconnue en Europe et aux Etats-Unis comme au Congo pour son intégrité et son obstination à défendre les droits humains ; un assassinat grossièrement maquillé en crime sexuel ; une enquête dissimulatrice, car menée par des policiers sur des policiers ; et, surtout, un long procès aux allures de comédie burlesque, où se mêlent l’absurde, les non-dits, la mauvaise foi… Malgré ces atouts, plusieurs partenaires financiers potentiels, dont des institutions vouées à encourager l’Etat de droit en Afrique, ont boudé notre projet, jugé trop polémique. « 

Si la Coopération belge et l’Organisation internationale de la francophonie (OIT) ont apporté leur soutien au film au nom de la défense des droits de l’homme, le ministère belge des Affaires étrangères, lui, a refusé de le cautionner.  » De même, poursuit le cinéaste, des chaînes de télé m’ont claqué la porte au nez pour  »incompatibilité du sujet avec la ligne éditoriale », ou au nom de l’audimat : la mort d’un activiste des droits humains au fin fond de l’Afrique, fût-il reconnu par l’ONU comme une personnalité d’exception, n’intéresserait pas le public occidental. « 

Le tribunal militaire joue le jeu

Les autorités judiciaires congolaises, en revanche, ont joué le  » jeu  » tout le long du tournage. La Cour militaire a autorisé Thierry Michel à filmer les temps forts des débats et des plaidoiries et à accompagner les juges sur le terrain lors des reconstitutions.  » Ces militaires de carrière ont voulu montrer, devant une caméra étrangère, qu’ils prenaient leur travail au sérieux, assure l’auteur du film, que ce procès ne serait pas une parodie de justice pour république bananière, que les droits de la partie civile comme de la défense des inculpés seraient respectés.

Mises sous pression par les bailleurs de fonds de la RDC, qui réclamaient – en vain – la mise sur pied d’une commission d’enquête internationale, les autorités congolaises ne pouvaient laisser le crime impuni. N’a-t-il pas le sentiment, dès lors, d’avoir été instrumentalisé par le régime, qui avait tout intérêt à ne pas contrecarrer un projet de film susceptible de redorer le blason de la justice congolaise ?  » C’est plus compliqué que cela, glisse le réalisateur. Il y a, dans l’entourage du président et parmi les chefs militaires, quelques  »colombes » qui, semble-t-il, sont discrètement intervenues. En outre, si les audiences n’ont pas manqué de surréalisme, ce procès marque tout de même un progrès par rapport au passé. Jusqu’ici, dans les rares affaires où l’on a cherché à rendre justice pour l’assassinat de journalistes ou de défenseurs des droits de l’homme, les poursuites judiciaires étaient vraiment bâclées. « 

(1) Annie Chebeya, la veuve de Floribert, accompagnera les avant-premières du film à Bruxelles (ce 29 février, au cinéma Vendôme), à Genève et à Paris. LIRE AUSSI LA CRITIQUE DU FILM DANS FOCUS

OLIVIER ROGEAU

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