Aernoudt, le semeur de zizanie

Partout où il passe, il fait des ravages. L’ancien haut fonctionnaire flamand a bien failli dynamiter le MR, encore tout retourné par son troublant passage-éclair. Mais pour qui roule donc cet homme venu du Nord ?

Pierre Havaux

Pierre Havaux

Il est devenu le cauchemar du Mouvement réformateur. Son spectre hante les nuits de ses dirigeants les plus endurcis. Il y a du diabolique chez Rudy Aernoudt. Cet homme peut se vanter d’avoir réussi ce que les pires ennemis du MR n’ont jamais osé imaginer dans leurs rêves les plus assassins : semer une pagaille monstre au sein de la  » grande famille  » libérale francophone. Il ne lui aura fallu que 48 heures pour accomplir sa besogne. Et précipiter le Mouvement réformateur dans une curieuse crise existentielle. Bonjour les dégâts : un FDF qui menaçait de faire sécession, un MCC qui ruait dans les brancards, une frange de libéraux qui s’interrogeait. Et, in fine, le président Didier Reynders contraint de faire piteusement marche arrière en éjectant l’ultralibéral par qui les ennuis du MR sont arrivés.

S’épanouir sur le dos de la Wallonie et son Etat-PS

Des signes avant-coureurs existaient. En déboulant sur la scène politique francophone, cet ex-cabinettard reconverti en haut fonctionnaire flamand était précédé d’une réputation atypique qui aurait pu mettre la puce à l’oreille : ne s’était-il pas payé avec fracas le scalp de la ministre de l’Economie à la Région flamande, Fientje Moerman (Open VLD), dont il avait dénoncé les pratiques douteuses au sein de son cabinet ? Défenestré de l’administration flamande, Aernoudt poursuit dans l’originalité : c’est chez lesà francophones qu’il exporte sa dénonciation du  » système « . Les motivations profondes de sa démarche en intriguent plus d’un. Aernoudt, un peu vite taxé de  » chevalier blanc  » sans peur et sans reproches,  » s’est trouvé en Wallonie un créneau qui était déjà pris en Flandre par la Lijst Dedecker « , constate un observateur de la vie politique. La Wallonie et son Etat-PS, voilà la matière toute rêvée pour s’épanouir électoralement. Mais c’est d’abord leà MR que ce libéral radical rencontre sur son chemin. Et c’est là que commence l’embrouille. Ici encore, Rudy Aernoudt donne la pleine mesure de son talent. Il ne cesse de brouiller les pistes sur ses ambitions électorales réelles : tantôt il laisse entendre qu’il fera cavalier seul à la tête de son parti, LiDé (Libéral Démocrate), en se targuant d’appuis jusqu’à présent nébuleux ; tantôt il n’exclut pas de rallier la bannière du MR. Un politologue y voit la marque du parfait opportuniste :  » Son but final était alimentaire : décrocher un mandat politique, quitte à sacrifier l’autonomie de son parti au sein du MR.  » Une haletante partie d’échecs s’est engagée entre le trublion de service et le président du MR. Le but du jeu étant de savoir qui allait réussir à piéger l’autre.  » Didier Reynders a essayé de dissoudre Aernoudt dans le MR afin de le neutraliser.  » Pas bête, Aernoudt fait habilement monter les enchères : il a admirablement compris le parti qu’il peut tirer de la lutte au coude-à-coude que se livrent le MR et le PS pour le leadership politique en Communauté française. Il s’offre au passage une belle caisse de résonance médiatique, disproportionnée par rapport au poids électoral que lui prêtent les sondages (0,4 %). A force de louvoyer, on lui prête les intentions les plus machiavéliques, au sein même du MR.  » Son opération est un coup monté : la création de son parti ne visait qu’à susciter l’attrait médiatique pour atteindre son objectif de départ : se tailler une place au MR « , dénonce un ponte du FDF.

Ce manège énerve surtout le FDF.  » Nous nous sentions insultés : Aernoudt nous taxe de parti séparatiste comparable à la N-VA en Flandre, il déforce notre combat pour l’élargissement de Bruxelles, il minimise le caractère majoritairement francophone de Bruxelles « , fulmine le sommet du FDF. Qui sent le danger, mortel : présenter à l’électeur bruxellois une image totalement brouillée du MR, sur le terrain institutionnel. Loin d’adoucir ses propos, Aernoudt aggrave son cas sur un plateau de télé :  » J’avoue ne pas toujours bien comprendre sa stratégie « , admet un ponte du MR. Le patron de LiDé est prisonnier de son discours radical, contraint de donner des gages aux nombreux militants de sa formation dépités de le voir enrôlé sous la bannière du MR. Cet électron libre offre ainsi au FDF le prétexte rêvé pour mettre un marché entre les mains de Reynders :  » C’est lui ou nous.  » C’est la curée : le MCC Gérard Deprez s’en mêle. Le MR étale ses désunions, son président fait aveu de faiblesse.  » Ils ont tous trahi Didier après s’être ralliés à la décision d’accepter Aernoudt. Mais Reynders a mal man£uvré « , confie un baron du PRL. Sur tous les fronts en raison de ses fonctions d’homme clé du gouvernement, aveuglé par son obsession de damer le pion au PS, le président du MR laisse pourrir l’ambiance.  » Il a commis une lourde erreur d’appréciation en se laissant dominer par des calculs électoraux d’épicier, imaginés par des technocrates qui ont monté en épingle ce pseudo-gourou « , analyse un sage du FDF. L’historien Marc D’Hoore, spécialiste du parti libéral, y voit aussi l’expression d’un  » réflexe conditionné « , lié à la nature même de la famille libérale.  » En accueillant Aernoudt, Didier Reynders ne faisait que s’inscrire dans la tradition et la permanence historique du parti attrape-tout. Avant lui, Jean Gol a été le père fondateur de la fédération PRL-FDF, Daniel Ducarme en a fait le MR, Louis Michel y a arrimé le MCC. Or toutes ces opérations ont été couronnées de succès sur le plan électoral. Reynders, lui, n’avait pas encore de ralliement à accrocher à son chapeau.  » Cette fois, la greffe n’a pas pris, car elle a sous-estimé la virulence du rejet par un FDF qui réaffirme ainsi tout son poids au sein du MR.  » Reynders a sacrifié Aernoudt pour sauvegarder le leadership du MR à Bruxelles, pièce maîtresse sur son échiquier politique « , concède un dirigeant du PRL. Pour se consoler, Aernoudt y puisera une raison de fustiger une formation francophone incapable de se libérer de la tyrannie d’un courant minoritaire  » séparatiste « . Le credo a tout pour plaire à son compèreà Jean-Marie Dedecker. Ces deux-là seraient-ils décidément faits pour s’entendre ?

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