Anobli en 2000, Sir Michael Caine revient, dans Et que les barrières sautent !, sur une vie bien remplie. © CASEY CURRY/ISOPIX

Acteur d’une révolution

Il a tourné avec les plus grands, accumulé les rôles inoubliables et, à 86 ans, est toujours en haut de l’affiche. Michael Caine publie aujourd’hui un livre qui retrace sa fabuleuse carrière. Avec des anecdotes savoureuses mais aussi une profonde réflexion sur la valeur du travail et le sens à donner à sa vie.

Au tournant des années 1950 et 1960, l’art était une affaire réservée aux classes supérieures, dans un Royaume-Uni figé sur son système de castes. Puis vint une vraie révolution dans le monde de la culture. Des auteurs dramatiques (Harold Pinter), des musiciens (The Beatles, The Rolling Stones), des stylistes (Mary Quant), des top models (Jean Shrimpton), des photographes (David Bailey), des coiffeurs (Vidal Sassoon) forçaient les portes du succès malgré leurs origines très modestes, et devenaient des stars dans leur domaine respectif. A l’écran, nul mieux que Michael Caine n’illustre ce formidable renversement ! Le natif de l’East End de Londres, avec son fort accent cockney, explosait à l’écran dans un premier rôle majeur en incarnant Alfie, un gars de son milieu. Vinrent ensuite Mes funérailles à Berlin, Un hold-up extraordinaire, Le Limier, L’Homme qui voulut être roi, Hannah et ses soeurs et, plus tard, sept films de Christopher Nolan dont une trilogie de Batman où il tient le rôle d’Alfred, le majordome et mentor du super-héros. A 86 ans, Sir Michael (la reine Elisabeth l’a anobli en 2000) n’entend pas en rester là !

Je ne me suis jamais libéré de ce sentiment que tout pouvait s’arrêter.

Que retenez-vous de cette révolution des années 1960 au Royaume-Uni ?

En réalité, les années 1960 avaient déjà commencé dans les années 1950, quand la classe ouvrière s’est retrouvée sur la scène des théâtres, avec en premier lieu la pièce Look Back in Anger de John Osborne. Le premier rôle était tenu par Richard Burton, un des douze fils d’un mineur de charbon, élevé dans une grande pauvreté. Jusque-là, le théâtre était l’apanage de la classe moyenne. On écrivait des pièces à propos d’elle ou de l’aristocratie. Des écrivains (de pièces, de roman) ont changé ça, les premiers. C’est ainsi que j’ai pu débuter au théâtre. Comme presque tous ceux qui allaient émerger, j’étais né pendant la grande crise économique des années 1930. La pauvreté était extrême. Et la Seconde Guerre mondiale n’a rien arrangé. Ensuite il y a eu la guerre froide, la menace atomique. Les Russes pouvaient nous effacer de la carte, nous n’avions plus que quatre minutes (1) à vivre. Alors on s’est dit, tant qu’à faire, vivons ces minutes à fond, prenons du plaisir. J’ai décidé d’être acteur, malgré le fait qu’avec mes origines et mon accent, la réponse que j’obtenais invariablement était  » laisse tomber « . Mon premier job à Londres, en 1959, fut d’être la doublure de Peter O’Toole dans la pièce qui fit de lui une star, The Long, the Short and the Tall. La toute première pièce sur la guerre à représenter de simples soldats. Jusqu’alors, toutes (et les films de même) ne parlaient uniquement que des officiers…

Un film parmi tant d'autres : Le plus escroc des deux.
Un film parmi tant d’autres : Le plus escroc des deux.© BELGAIMAGE

Dans votre livre, le mot  » travail  » ( » work « ) revient très souvent. Pourquoi ?

Rien d’étonnant quand, après tout, on est issu de la  » working class  » (rire) ! J’ai grandi dans un pays où l’aristocratie avait ce privilège de ne pas devoir travailler, et où la classe moyenne recevait des emplois en héritage. Nous, nous devions bosser, très jeunes. Après mon service militaire, j’ai travaillé en usine, à porter de lourds sacs. Et je gagnais à peine de quoi survivre. C’est sans doute pour ça que, même devenu vedette de cinéma et un acteur très bien payé, je ne me suis jamais libéré de ce sentiment que tout pouvait s’arrêter, et qu’il me fallait dès lors travailler le plus possible. D’où le nombre élevé de titres dans ma filmographie, et la présence de navets à côté des grands films. Le cachet était le même (rire)

Vos conseils professionnels sont presque tous en même temps des conseils de vie, applicables à notre existence en général.

Une des principales raisons qui m’ont poussé à écrire ce livre est venue un soir, chez moi, quand je regardais la télévision. Un homme interviewait de jeunes Anglais, en leur demandant ce qu’ils voulaient faire de leur vie. Plusieurs d’entre eux répondaient :  » Je veux être riche et célèbre.  » Ce n’est assurément pas la meilleure façon de démarrer dans la vie (rire) ! Quand j’ai commencé, non seulement je ne voulais pas devenir riche et célèbre, mais j’étais convaincu que cela ne pouvait pas m’arriver… J’ai eu envie de transmettre aux jeunes le message suivant : commencez par trouver ce que vous avez réellement envie de faire, et ensuite faites en sorte de devenir le meilleur possible dans ce que vous avez choisi. Sans référence à qui que ce soit d’autre ! Il y aura toujours quelqu’un de meilleur que vous, de pire aussi. Vous êtes la seule référence, travaillez à remplir votre propre potentiel, dans votre job comme en tant qu’être humain, dans vos relations avec les autres. Ensuite vous deviendrez riche et célèbre… ou pas. Point final.

Je demandais un jour à Ben Kingsley lequel de ses personnages était le plus proche de ce qu’il est lui-même. Il m’a répondu :  » Aucun, j’espère !  » Et vous ?

(grand rire) J’aurais pu vous faire la même réponse ! C’est tellement vrai ! On joue quelqu’un d’autre, on ne se joue pas soi-même. Cela n’a aucun intérêt, même si certains acteurs semblent y tendre. Vous jouez quelqu’un d’autre, et vous en faites une personne réelle, vous vous efforcez d’ être et pas de jouer. Le meilleur conseil que j’aie jamais reçu sur le métier d’acteur m’a été donné tout jeune. J’étais dans le théâtre depuis deux ou trois mois à peine, et je répétais une pièce sur une petite scène en province. Je devais jouer un homme ivre. Le producteur m’a interrompu et m’a demandé ce que je faisais. J’ai répondu :  » Je joue un homme ivre, Monsieur.  » Il m’a dit :  » Tu t’efforces de parler avec une voix pâteuse, de prendre une démarche instable, de trébucher, bref de paraître saoul. Alors qu’un vrai soûlard, ce que tu dois être pour la pièce, va au contraire faire tout son possible pour parler clairement, marcher droit, ne pas se cogner aux meubles. C’est cela que tu dois faire pour être lui.  »

Un film parmi tant d'autres :  Little Voice.
Un film parmi tant d’autres : Little Voice.© BELGAIMAGE

Quel fut votre tournage le plus heureux ?

Celui de Le plus escroc des deux(NDLR : en 1987). Parce que c’était dans le Sud de la France, l’été, qu’on m’avait loué une villa entre celles de deux de mes amis les plus proches, Roger Moore et Leslie Bricusse, le compositeur. Parce que j’avais emmené toute ma famille, et que mon partenaire était Steve Martin. Bref, le paradis ! On s’est beaucoup amusés à faire un film amusant, ce qui ne va pas toujours de soi. J’ai connu des tournages très marrants pour des films qui n’ont ensuite faire rire personne…

Et le pire ?

Sans hésiter celui de L’inévitable catastrophe (NDLR : sorti en 1978) ! Je venais de débarquer à Hollywood, il y avait plein de stars au casting (Henry Fonda, Richard Widmark, Olivia de Havilland). Ça racontait une attaque d’abeilles tueuses et le script était d’une rare nullité. En plus, les abeilles nous ont chié dessus, à Fonda et à moi… Tout ça pour quel résultat ? Probablement le pire film jamais réalisé (rire) !

Vous consacrez, dans votre livre, un beau et fort chapitre à l’âge. Vous dites notamment qu’être vieux est devenu cool, aujourd’hui…

Les gens vivent plus vieux, en général. L’espérance de vie n’a cessé d’augmenter. Donc aussi celle des spectateurs, lesquels aiment toujours retrouver les acteurs qu’ils apprécient. Au siècle dernier, la moitié de mon public aurait déjà été mort, et moi aussi, peut-être. Ou j’aurais été assis toute la journée à regarder la télévision… La société a changé, aussi. Je reçois plus de propositions aujourd’hui qu’il y a vingt ans !

Que pense le féministe déclaré que vous êtes du fait que la vague #MeToo se soit attaquée en priorité au monde du spectacle, de la culture, plutôt qu’à ceux des affaires ou de la politique ?

Ne vous inquiétez pas. Ça vient… Vous savez d’où vient mon féminisme ? De l’amour de ma mère. J’ai eu une maman formidable. Elle m’aimait, je l’aimais. L’idée d’avoir un jour un comportement hostile envers les femmes a toujours été impensable pour moi. Je suis très heureux de voir les femmes s’imposer dans tous les domaines. L’autre jour, je regardais un reportage sur les SAS (Special Air Service), l’unité la plus musclée de nos armées. Eh bien, le commandant en chef est une femme !

Vous vous dites aussi optimiste…

(anticipant la fin de la question) Bon dieu, il faut l’être ! Si on n’est pas optimiste, dans le monde où nous vivons, autant directement se suicider…

(1) Le temps estimé pour un missile soviétique d’atteindre Londres.

Et que les barrières sautent !, par Michael Caine,  éd. Baker Street, 324 p.
Et que les barrières sautent !, par Michael Caine, éd. Baker Street, 324 p.

Et que les barrières sautent !

Sous ce titre énergique (1) paraît un gros livre où Michael Caine transmet ses valeurs professionnelles et ses valeurs de vie, les unes et les autres se confondant souvent tant le grand acteur y parle au quotidien, sans une trace d’autocomplaisance. Il a voulu être le meilleur comédien possible, et aussi – surtout – quelqu’un de bien. Alors il propose, sur fond de souvenirs et d’anecdotes très savoureuses, quelques conseils avisés comme celui de choisir une voie que l’on aime et ensuite travailler, et travailler encore, pour être prêt quand la chance offre une opportunité à saisir. Michael Caine souffle aussi de ne jamais croire que c’est arrivé, de savoir qu’il y aura des bas comme il y a des hauts, illustrant son propos d’exemples personnels, lui qui a joué beaucoup de pièces et de films allant du chef-d’oeuvre ( L’Homme qui voulut être roi) au navet ( L’Inévitable catastrophe, si bien nommé ! ). Les pages consacrées à ses origines prolétaires, à son épouse bien-aimée, à ses enfants et petits-enfants, touchent juste et profond. L’humour pimentant abondamment un bouquin alliant modestie sincère et satisfaction d’une existence pleinement vécue. Inspirant !

(1) Le titre original l’est plus encore : Blowing the Bloody Doors off !, littéralement  » faire péter les putains de portes !  » Allusion aux années 1950 et 1960 où les enfants de la classe ouvrière ont pris d’assaut une culture jusque-là figée par le système de classes au Royaume-Uni.

Un film parmi tant d'autres : récemment, Kingsman : services secrets.
Un film parmi tant d’autres : récemment, Kingsman : services secrets.© BELGAIMAGE

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