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Un retour aux urnes, vaudrait mieux pas pour les finances des partis (décodage)

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Les dix ans écoulés ont fait la fortune de la N-VA. Les cinq ans passés font émerger une nouvelle puissance financière : la gauche radicale PTB-PVDA. Les autres partis ont tendance à souffrir, surtout en année électorale.

Jamais deux sans trois ? Ne pas parler de malheur. Plus d’un trésorier doit croiser les doigts en ce moment. Brûler un cierge ou croire au mariage de l’eau et du feu et s’en remettre à l’entente miraculeuse entre Bart De Wever et Paul Magnette pour qu’advienne enfin sous peu un gouvernement fédéral. Pour que s’éloigne pour de bon le spectre d’un rendez-vous prématuré avec les urnes.

Octobre 2018, élections communales et provinciales. Mai 2019, scrutin fédéral, régional, européen. Les partis ont déjà beaucoup donné, il a fallu casser la tirelire deux années d’affilée pour tenter de séduire l’électeur : 33 millions d’euros injectés en propagande à des fins électorales en 2018, 43 millions engagés en 2019. Certains, et non des moindres, ont bouclé les deux derniers exercices financiers sur les rotules. Jamais depuis dix ans, le PS, le CD&V et l’Open VLD n’avaient eu à acter dans leurs rapports financiers, et simultanément encore bien, de si lourdes pertes. Avec 5,1 millions d’euros dans le rouge, le trio s’adjuge 55 % des 9,3 millions de malus déclarés en 2018 et 2019 par l’ensemble des formations politiques.

Des moments délicats

C’est dire si les finances souffrent d’être sollicitées à des intervalles rapprochés et s’il devient urgent de pouvoir reprendre haleine et regarnir les tiroirs-caisses. Au boulevard de l’Empereur, siège du PS, on confirme que 2019 a bien succédé à 2018 et que ces deux années électoralement chargées ont mobilisé de gros moyens humains et financiers et mis la trésorerie à forte contribution. Rien que de très cyclique et de très normal dans la vie financière d’un parti, assure-t-on. Juste de délicats moments à passer.

Partis de tout le pays, enrichissez-vous

Inutile en effet de céder à la panique. Avec près de 93 millions de fonds propres totalisés en 2019, les partis ont de quoi voir venir et, au besoin, faire face à un affrontement électoral imprévu. Ils n’ont d’ailleurs cessé de garnir leurs réserves ces dix dernières années et de muscler leur force de frappe financière : 69,5 millions amassés en placements de trésorerie ou en liquidités en 2010, 73,5 millions en 2014, 83,8 millions en 2019. Un enrichissement permanent mais à deux vitesses : les cagnottes ont enflé de manière plus prononcée dans le paysage politique flamand (2010-2019 : + 16 %) que francophone (2010-2019 : + 7 %). Ces signes extérieurs de richesse n’occultent pas une décennie riche en scrutins (2010 : fédérales anticipées – 2012 : communales – 2014 : fédérales/régionales/européennes – 2018 : communales/provinciales – 2019 : fédérales/régionales/européennes) et qui, ceci expliquant largement cela, s’achève plutôt dans la douleur : la toute grosse majorité des trésors de guerre sont en repli depuis 2017, allégés au total de quelque 24,6 millions d’euros.

Chaque voix compte

L’électeur y est pour quelque chose dans les fortunes diverses que connaissent les partis. Chaque voix compte, les enrichit ou les appauvrit, peut les faire admettre dans la cour des grands, les intégrer dans le cercle de privilégiés où s’ouvre le droit à un financement public par la grâce d’une représentation parlementaire suffisante. Dotations fédérale/régionale/communautaire, subsides aux groupes parlementaires et aux services d’études et instituts de formation politique, subsides provinciaux : la manne publique (78,8 millions en 2019) est répartie entre ses bénéficiaires selon leur force électorale.

Faire contribuer les mandataires et tabler sur les cotisations des affiliés est une tradition plutôt de gauche. Se reposer sur le financement public direct est plutôt une habitude de droite

Plus une victoire au scrutin est éclatante et rapporte des élus, plus la part du gâteau s’épaissit. C’est la philosophie du système adopté dans les années 1990 pour délivrer la vie politique de la tentation du mal corrupteur et l’arracher au règne de l’argent fou. Avec cette tendance, jugée fâcheuse par d’aucuns, à enrichir les déjà riches et à se montrer chiche envers les moins nantis et les plus précarisés.  » Les plus gros gagnent plus, les plus petits gagnent peu. C’est l’application du proverbe, « on ne prête qu’aux riches » « , résume le politologue Jean Faniel, directeur général du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques) et fin connaisseur du financement de la vie politique.

Pour l’heure, c’est un  » club des douze  » (N-VA – CD&V – Open VLD – SP.A – Vlaams Belang – Groen – PS – MR – CDH – Ecolo – DéFI – PTB-PVDA) qui se repose à 80 % sur l’argent public pour subvenir à leurs besoins, jusqu’à 90 % même pour les formations qui en sont les plus accros (la droite en Flandre : N-VA, Open VLD, Vlaams Belang ; le MR et, surtout, le CDH en Wallonie).

La N-VA, le jackpot

Libre à chacun de faire fructifier la coquette somme qui lui est allouée, par exemple dans un patrimoine immobilier : c’est particulièrement le cas de la N-VA qui déclare plus de 16,2 millions en terrains et constructions. Libre à chacun aussi de diversifier ses rentrées afin de pouvoir mieux amortir le choc financier d’une déconvenue électorale.

Entre autre, en sollicitant les fiches de paie des mandataires : leur contribution a globalement rapporté de moins en moins gros en dix ans, surtout du côté des formations flamandes (2010-2019 : – 16 %), de manière moins prononcée chez les partis francophones (2010-2019 : – 7 %), qui y recourent davantage. Cette façon de prier les élus d’y aller de leur poche est, il est vrai, une vieille inclination de la gauche. Les cotisations des membres sont aussi volontiers appréciées : impossible de déceler dans une éventuelle baisse de cette recette un signe de désamour à l’égard d’un parti car le prix de la carte peut fluctuer et des sommes encaissées au niveau local passent sous les radars des exercices comptables.

Le filon du PTB

Le filon a néanmoins son champion : le PTB-PVDA compte vraiment beaucoup sur les deniers des camarades. Il en tirait 866 000 euros il y a cinq ans, il en a obtenu 1,7 million en 2019, soit 79 % du total des 2,2 millions d’euros reçus des affiliés par l’ensemble des partis. Difficile de ne pas y voir un indice de popularité de la gauche radicale, gratifiée en prime en 2018 et 2019 de généreux dons de 337 000 et de 353 000 euros plutôt inhabituels pour un type de recettes devenu anecdotique depuis qu’il est strictement encadré et qui, en moyenne, rapporte rarement plus de 100 000 euros par an à tous les partis.

En dix ans, l’électeur a donc eu plus d’une fois le loisir d’épaissir ou de dégarnir les portefeuilles. De bâtir des fortunes ou de faire fondre des trésors. En Flandre, il ne s’en est pas privé. Il a rendu immensément – scandaleusement, disent certains – riche la N-VA. Il en a fait une hyperpuissance financière qui n’a cessé d’amasser, de creuser l’écart avec ses adversaires, prenant l’habitude de leur en laisser de moins en moins au fil de victoires électorales qui l’ont rendu premier parti du pays en 2014. Le pari pris de rompre avec le CD&V pour voler de ses propres ailes en 2008 a eu des allures de jackpot. La N-VA en 2010, c’étaient 5,3 millions de dotations publiques et 6,9 millions de placements de trésorerie et de liquidités. En 2014 : 11,7 millions d’euros de financement public et un trésor de guerre de 16,1 millions. Cinq ans plus tard : 12,4 millions d’euros d’argent public et une force de frappe financière de 20,2 millions. Qui dit mieux ? Personne.

L’électeur flamand a fait de la N-VA une hyperpuissance financière qui n’a cessé d’amasser, de creuser l’écart avec ses adversaires

Le vote flamand ne fait pas les choses à moitié

Les nationalistes flamands continuent d’écraser la concurrence, certes avec un chouia moins d’insolence depuis que le récent revers électoral les oblige à céder un peu de terrain. En 2019, ils n’ont plus siphonné  » que  » 26 % du financement public alloué aux six formations flamandes en lice, là où ils en en pompaient encore 30 % en 2014. Le votant flamand ne fait décidément pas les choses à moitié. Il a dans le même temps mené le Vlaams Belang de la grandeur à la décadence. L’extrême droite flamande, encore sacrée formation la plus riche en 2012 (14,8 millions en caisse), a été dépossédée de son statut de grosse fortune pour dégringoler dans le bas du classement. Aucun autre parti sur dix ans n’aura connu une telle descente aux enfers financière : un bilan dans le rouge de 6,6 millions d’euros au bout de six exercices comptables sur dix clôturés en perte.

L’électeur francophone n’a pas été aussi loin dans l’extase comme dans la disgrâce. Le mâle historiquement dominant de l’espace électoral wallon a pris pas mal de coups depuis dix ans, il a perdu de sa superbe mais la machine de guerre PS en garde sous la pédale. Même si c’est le MR qui se voit sacré en 2019 parti francophone le plus riche car le mieux doté en fonds propres.

Mettre de côté : un peu, beaucoup

Et au milieu de ces hiérarchies financières, plus chamboulées au nord qu’au sud du pays, derrière ceux qui font la course en tête, au sein du peloton, plus d’un parti traditionnel a eu une décennie pour se résigner à un train de vie adapté à un rang de parti (très) moyen : CD&V, Open VLD, SP.A au nord du pays, CDH au sud. Les verts, francophones surtout, ont eu le temps de méditer sur la versatilité de l’électeur qui leur joue souvent de mauvais tours financiers, entre phases de déconfiture et de redressement. Car des dotations publiques, ça s’en va puis ça revient et Ecolo est particulièrement sensible au principe des vases communicants. Reste DéFI, le Petit Poucet de la bande, l’ex-FDF à la peine, contraint de jouer petit bras depuis qu’en 2011, il a choisi de relancer une carrière en solo, sans le MR.

Et puis, la perpétuelle course aux suffrages, à un moment ou un autre de l’épreuve, a toujours sa révélation. Le dernier venu ne passe pas inaperçu. La seconde moitié de la décennie écoulée a vu le grand retour politique de la gauche radicale. Et sa spectaculaire montée en puissance financière. Depuis 2014 et sa première apparition sur la scène parlementaire, le PTB-PVDA, linguistiquement inclassable vu son caractère unitaire, affole ses compteurs. Il est devenu en cinq ans une entreprise largement bénéficiaire, qui a contribué à elle seule pour 56 % aux 6,3 millions de bénéfices cumulés enregistrés par les partis en 2018-2019.

Vaut mieux pas

Tout ce petit monde cherche continuellement à mettre de côté. Tant bien que mal, selon ses moyens, de préférence lors des années sans scrutin. Même en 2019, année électorale, les partis ont aussi provisionné au cas où, après le passage par les urnes le 26 mai, il faudrait remettre ça plus tôt que prévu. Ils ont provisionné un peu (Ecolo : 660 000 euros. MR : 400 000. Open VLD : 178 000. Vlaams Belang : 166 000), pas mal (SP.A : 1,9 million. N-VA : 1,5 million. PS : 1,3 million), beaucoup (CDH : 2,5 millions. CD&V : 2,2 millions) ou pas du tout (DéFI : 0 euro comme en 2018, et PTB-PVDA  » parce qu’aucun scrutin n’est prévu en 2020 mais nous avons les moyens de faire face à toute éventualité « , dit-on au parti). 2020, année électorale ? Vaut mieux pas.

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