» A Mons, sans le PS, on ne peut rien faire « 

Les socialistes sont aux commandes de tous les leviers économiques dans la région de Mons-Borinage, à commencer par la puissante intercommunale Idea. Le PS y est le meilleur chantre de l’économie de marché, avec un objectif officiel : l’emploi. Bilan ?

« A Mons, il n’y a pas plus capitaliste qu’un socialiste !  » La sentence tombe au milieu d’une conversation avec un administrateur, non PS, de l’Invest-Mons-Borinage-Centre (IMBC). Elle est confirmée par d’autres interlocuteurs. Richard Miller (MR), conseiller communal au sein de la majorité montoise :  » Sans vouloir verser dans le pathos, je viens d’une famille ouvrière du Borinage, raconte l’ancien échevin des Finances et de l’Emploi. Mon grand-père, mineur, a toujours voté socialiste. Mais ce socialisme-là a perdu son âme.  » Un autre élu pointe l’ASBL Mons-Métropole, créée par la Ville de Mons (et Elio Di Rupo en particulier) pour organiser des conférences-dîners réunissant un grand nombre de chefs d’entreprise qu’il faut séduire à tout prix.

 » Le PS s’est converti au capitalisme, assène Manu Disabato (Ecolo). Il ne remet pas en cause le modèle dominant. Ce qui arrange bien les patrons qui ont plutôt cette philosophie-là.  » De leur côté, les chefs d’entreprise de la région se disent proches des socialistes, par obligation…  » Tout le monde me qualifie de socialiste, nous dit un industriel borain. Je laisse courir la rumeur parce que c’est dans mon intérêt.  » Le boss d’une grosse PME montoise de 300 personnes confirme :  » Sans le PS, on ne peut rien faire. Les chefs d’entreprise sont souvent d’une autre couleur politique, mais ils savent qu’il vaut mieux ne pas l’afficher.  »

Le PS montois proche des patrons, des entrepreneurs, des investisseurs ? Dans une région où le taux de chômage atteint 19 % de la population active, les socialistes ont une bonne excuse : il y a intérêt à booster le développement économique. Les édiles n’ont d’ailleurs que ce mot à la bouche. Dans le dernier Mons-Mag, les membres du collège communal sont amenés à compléter la phrase :  » Pour une ville comme Mons, devenir en 2015 Capitale européenne de la Culture, c’est…  » Les échevins PS ou MR soulignent en choeur, et avant tout, l’opportunité économique de l’événement.

Vaines promesses d’emplois ?

Lorsque nous l’avions rencontré dans le cadre d’un dossier sur la préparation de Mons 2015 (Le Vif/L’Express du 12 juillet dernier), le bourgmestre ff Nicolas Martin (PS) n’y allait pas par quatre chemins :  » Pour Mons 2015, ce qui nous intéresse, ce n’est pas la culture en soi, mais bien tous ces investisseurs privés qui, à la faveur de l’événement, viennent investir dans le logement, les centres commerciaux, etc. Mons 2015 est d’abord une carte de visite pour le développement de la région.  » Et d’évoquer avec fierté les investisseurs flamands qui se pressent désormais à Mons, attirés par les noms des architectes Santiago Calatrava (pour la future gare) et Daniel Liebeskind (pour le centre de congrès), et qui admirent la stricte harmonie du mobilier des terrasses de la Grand-Place.

Depuis quelques années, le langage des socialistes montois est devenu très entrepreneurial, ouvert à l’économie de marché par réalisme. Tous vantent l’essor du parc scientifique Initialis, dédié à l’IT (hautes technologies de l’information), dans le quartier des Grands Prés. Les start-up, les spin-off et les centres de R&D (recherche et développement) s’y sont multipliés au point qu’un autre parc, baptisé Geothermia, est en cours d’aménagement sur plus de 40 hectares, de l’autre côté de l’autoroute.  » Ce qui était un champ agricole est aujourd’hui un zoning scientifique saturé « , sourit avidement Nicolas Martin.

On parle aussi, sans rire, de la  » Silicon Valley  » wallonne, depuis l’installation de Google, dans la zone industrielle de Ghlin-Baudour. Mais l’arrivée du géant de l’Internet reste controversée, car celui-ci s’est vu céder un beau terrain bon marché pour installer un gros serveur et ne créer, au final, que très peu d’emplois directs pour la région. Or justement, le discours pragmatique des socialistes ne se justifie officiellement que par la création de nouveaux jobs.  » Ce n’est pas antinomique avec les convictions socialistes que de vouloir donner une impulsion aux entreprises qui donnent du travail, explique Gilles Mahieu, Montois et secrétaire général du PS. Pour le reste, je ne crois pas qu’il y ait une familiarité particulière entre les socialistes et les chefs d’entreprise. Il faut juste des liens de confiance.  »

L’objectif emploi est cependant loin d’être atteint, même si le Microsoft Innovation Center (MIC), installé à Initialis, a contribué, par les services qu’il offre, à créer une trentaine de start-up en trois ans.  » On est déçu par les résultats globaux, juge Sandra Goret, secrétaire régionale de la FGTB Mons-Borinage. On ne peut pas dire qu’on assiste à un véritable redéploiement économique dans la région. Jusqu’ici, le PS a surtout travaillé l’image de marque locale en accueillant Google ou Microsoft à Mons. Aujourd’hui, avec Mons 2015, on nous fait encore miroiter de vagues promesses d’emplois…  »

Le PS à toutes les manettes

Les socialistes sont aux commandes des principaux leviers économiques de la région de Mons-Borinage. A commencer par Idea, la puissante Intercommunale de développement économique et d’aménagement du territoire, gouvernée d’une poigne d’acier, pendant vingt-trois ans, par Jean-François Escarmelle. Celui qu’on a souvent surnommé  » le second maître de Mons  » est un socialiste affirmé, membre du parti depuis 1973. Il ne s’en est jamais caché. Il a étudié en même temps qu’Elio Di Rupo, à la fin des années 1960, à l’Université de Mons-Hainaut.

Beaucoup plus discret que Stéphane Moreau, patron de Tecteo, il n’a jamais été candidat à une élection. Mais, ces deux dernières décennies, aucun grand projet économique ne s’est décidé sans son aval. Google, c’est lui. Initialis, c’est lui aussi. Au conseil d’administration, Escarmelle a toujours été flanqué d’un président socialiste, Elio Di Rupo lui-même au début des années 2000. En mai dernier, il a pris sa retraite. Caroline Decamps, alors directrice financière d’Idea et étiquetée PS, lui a succédé. Ecolo et le CDH avaient suggéré de lancer une procédure de recrutement externe. En vain. Majoritairement socialiste, le conseil d’administration s’y est opposé. A Mons, on imagine mal que Caroline Decamps ait été choisie sans l’imprimatur de Di Rupo. Lequel a d’ailleurs placé un homme à lui à la présidence, Marc Barvais, ainsi récompensé pour ses loyaux services après avoir dû céder le fauteuil de bourgmestre à Nicolas Martin et loupé le titre de gouverneur du Hainaut.

Les socialistes ont le contrôle absolu de cet outil économique incontournable : en dehors de Decamps, quasi tous les postes de direction de l’intercommunale sont aux mains de socialistes. Le directeur-adjoint Daniel Dessilly est au PS de Jurbise. La directrice des ressources humaines, Carine Delfanne, vient du cabinet de Jean-Claude Marcourt à la Région wallonne. La directrice de l’aménagement, Stéphanie Libert, est chef de groupe PS à Colfontaine. Le directeur du service d’études, Benjamin Benrubi, est le fils du chef (pensionné depuis peu) des services techniques de la Ville de Mons…  » J’ai recruté tous les directeurs pour leurs compétences, sans attitude partisane « , se défend Jean-François Escarmelle, qui a embauché Renaud Lorand du MR de Thuin, plus tard récupéré par… Marcourt comme chef de cabinet. L’étiquette ne remet évidemment pas en cause la compétence des intéressés, mais cela facilite la prise de décision.

Plus technocrates que socialistes

Si cette tendance monochrome reflète une réalité sociologique, celle de la prédominance électorale du PS à Mons Borinage, cela engendre aussi une certaine opacité. Depuis 2012, Idea est sous le coup d’une enquête judiciaire bien gênante dans le cadre de la vente de son activité de télédistribution à Tecteo en 2007. L’opération avait rapporté 82 millions d’euros à l’intercommunale. Les enquêteurs de la cellule de Jumet (Le Vif/L’Express du 20 septembre) semblent s’intéresser aux conditions de placement de ce magot. Un placement négocié par Escarmelle et Decamps au cours de l’année 2008 et avalisé par le conseil d’administration.  » C’était un dossier compliqué. Il faut être financier pour y comprendre quelque chose, déplore Eric Bailly, ancien administrateur CDH. On nous assénait que si on n’optait pas pour le choix de la direction, on risquait de faire perdre de l’argent aux communes d’Idea. Beaucoup de dossiers nous passent au-dessus de la tête parce que nous sommes noyés d’infos.  »

La position des administrateurs de telles institutions est précaire.  » C’est vrai que les administrateurs des intercommunales sont majoritairement incompétents, comme d’ailleurs dans les sociétés privées. C’est vrai aussi que les intercommunales ont parfois servi à asseoir des pouvoirs personnels, reconnaît Escarmelle. Mais de telles structures collectives n’en permettent pas moins de réaliser des économies d’échelle et de recruter des personnes compétentes.  »

Des technocrates étiquetés PS qui n’adhèrent pas forcément à la philosophie socialiste.  » Il suffit d’aller au resto avec eux et de les entendre se lâcher après quelques verres de vin « , sourit un Ecolo du Centre.  » C’est très paradoxal, analyse Savine Moucheron, conseillère communale CDH. On a vraiment l’impression qu’aujourd’hui, les gens qui ambitionnent une carrière politico-administrative dans le Hainaut vont d’office au PS, même s’ils n’en partagent pas les idées. Il y a là une forme d’opportunisme.  » Un autre élu rappelle pernicieusement les premiers pas en politique du bourgmestre Nicolas Martin à la tête des Jeunes FDF, à la fin des années 1990… Certains évoquent ainsi de plus en plus l’existence d’une caste politico-administrative dont le PS est le tremplin, dans le Hainaut.

Par Thierry Denoël

Certains évoquent de plus en plus l’existence d’une caste politico-administrative dont le PS est le tremplin, dans le Hainaut

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