La récolte démarre mi-octobre. Les coupeurs de canne à sucre, dont de jeunes enfants, migrent alors vers le sud pour travailler dans les plantations pendant six mois. Le voyage en camion dure parfois deux semaines. © Chloe Sharrock

A leur corps défendant

Précarisées, méconnaissant leur propre corps, des milliers de planteuses de canne à sucre de l’Etat du Maharashtra subissent des hystérectomies abusives, encouragées par des médecins et patrons sans scrupules. Des pratiques que le gouvernement indien tarde à sanctionner.

Le scandale éclate en mai 2019, lorsque des associations de l’Etat du Maharashtra révèlent que, chaque année, des milliers de coupeuses de canne à sucre sont victimes d’hystérectomies abusives. Et ce depuis des décennies. A l’origine de cette pratique, des médecins du secteur privé, avides de profits. Même consultés pour des problèmes bénins, ceux-ci convainquent leurs patientes qui, bien souvent, méconnaissent leur propre corps, qu’une ablation de l’utérus est nécessaire. Les opérations sont réalisées à la chaîne, en toute impunité, dans des cliniques privées. Les honoraires y sont fixés librement et peuvent atteindre 600 euros, une fortune dans ces milieux précarisés.

Après la révélation du scandale par les associations, le gouvernement impose aux médecins de demander une autorisation avant de pratiquer une hystérectomie. Beaucoup sont cependant incapables de citer les sanctions en cas de non-respect de la loi...
Après la révélation du scandale par les associations, le gouvernement impose aux médecins de demander une autorisation avant de pratiquer une hystérectomie. Beaucoup sont cependant incapables de citer les sanctions en cas de non-respect de la loi…© Chloe Sharrock

Les ouvrières des plantations sont des cibles idéales : leur travail s’inscrit dans l’économie informelle du pays et échappe donc à toute forme de protection, légale, syndicale ou sociale. Particulièrement éprouvant physiquement, il favorise en outre les soucis de santé, poussant les malades entre les mains de praticiens sans scrupules. De leur côté, bon nombre de patrons n’hésitent pas, eux non plus, à encourager cette intervention chirurgicale. Avec la fin de leurs menstruations, la productivité des femmes est censée augmenter…

A la suite de ces révélations, le gouvernement a créé un comité chargé de mener l’enquête dans le district de Beed, dans l’Etat du Maharashtra. L’extrême pauvreté qui y sévit ne laisse d’autre choix à ses habitants que d’accepter le boulot harassant de coupeur de canne, faisant de la région le réservoir de main-d’oeuvre de l’ensemble du secteur. A ce jour, cependant, seules des recommandations ont été émises par la commission. Les mesures concrètes et les sanctions continuent à se faire attendre, ne laissant présager que peu d’espoir pour celles dont le corps est bafoué au nom du profit.

Sugar Girls, le photoreportage de Chloe Sharrock, est exposé dans le cadre du festival Visa pour l’image de Perpignan, jusqu’au 27 septembre. visapourlimage.com

Dans les campements des ouvrières, les conditions de vie sont extrêmement rudimentaires : pas de sanitaires, d'électricité ni de point d'eau.
Dans les campements des ouvrières, les conditions de vie sont extrêmement rudimentaires : pas de sanitaires, d’électricité ni de point d’eau.© Chloe Sharrock
Une des activistes défendant les victimes rend visite à celles dont la santé s'est dégradée. Au-dessus du bâtiment dans lequel elles sont regroupées flotte le drapeau des intouchables.
Une des activistes défendant les victimes rend visite à celles dont la santé s’est dégradée. Au-dessus du bâtiment dans lequel elles sont regroupées flotte le drapeau des intouchables.© Chloe Sharrock
Asha, 29 ans, a subi une hystérectomie après avoir consulté un médecin privé pour des douleurs abdominales. Son employeur lui a avancé la somme nécessaire, à un taux d'intérêt de 60 %.
Asha, 29 ans, a subi une hystérectomie après avoir consulté un médecin privé pour des douleurs abdominales. Son employeur lui a avancé la somme nécessaire, à un taux d’intérêt de 60 %.© Chloe Sharrock
Ces deux adolescentes ont quitté l'école et s'apprêtent à migrer vers le sud afin d'aider leur mère dans les champs. Depuis son opération, la santé de cette dernière est fragile.
Ces deux adolescentes ont quitté l’école et s’apprêtent à migrer vers le sud afin d’aider leur mère dans les champs. Depuis son opération, la santé de cette dernière est fragile.© Chloe Sharrock
Asha, 29 ans, a subi une hystérectomie après avoir consulté un médecin privé pour des douleurs abdominales. Son employeur lui a avancé la somme nécessaire, à un taux d'intérêt de 60 %.
Asha, 29 ans, a subi une hystérectomie après avoir consulté un médecin privé pour des douleurs abdominales. Son employeur lui a avancé la somme nécessaire, à un taux d’intérêt de 60 %.© Chloe Sharrock
Par ce formulaire, le chirurgien promet une commission pour chaque coupeuse de canne envoyée chez lui pour une hystérectomie. Il est destiné au mukadam (patron de plantation). Nakaate, l'un d'eux, admet avancer régulièrement la somme nécessaire à cette intervention à ses ouvrières.
Par ce formulaire, le chirurgien promet une commission pour chaque coupeuse de canne envoyée chez lui pour une hystérectomie. Il est destiné au mukadam (patron de plantation). Nakaate, l’un d’eux, admet avancer régulièrement la somme nécessaire à cette intervention à ses ouvrières.© Chloe Sharrock
Anita, 17 ans, est enceinte de cinq mois. Malgré cela, elle porte un ballot de plusieurs dizaines de kilos. La pénibilité du labeur et les grossesses à répétition ont un impact sur la condition physique des travailleuses, ce qui les pousse à consulter des médecins, souvent mus par le profit.
Anita, 17 ans, est enceinte de cinq mois. Malgré cela, elle porte un ballot de plusieurs dizaines de kilos. La pénibilité du labeur et les grossesses à répétition ont un impact sur la condition physique des travailleuses, ce qui les pousse à consulter des médecins, souvent mus par le profit.© Chloe Sharrock
Par ce formulaire, le chirurgien promet une commission pour chaque coupeuse de canne envoyée chez lui pour une hystérectomie. Il est destiné au mukadam (patron de plantation). Nakaate, l'un d'eux, admet avancer régulièrement la somme nécessaire à cette intervention à ses ouvrières.
Par ce formulaire, le chirurgien promet une commission pour chaque coupeuse de canne envoyée chez lui pour une hystérectomie. Il est destiné au mukadam (patron de plantation). Nakaate, l’un d’eux, admet avancer régulièrement la somme nécessaire à cette intervention à ses ouvrières.© Chloe Sharrock

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