A l’ombre des derricks

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le pétrole coûte plus cher ? A long terme, personne n’y gagne. En revanche, une solide reprise économique ferait bien des heureux, dans tous les camps

Cyniquement, on l’appelle une prime de guerre. C’est le bénéfice indirectement engendré par le conflit israélo-palestinien pour les pays producteurs de pétrole. Depuis un bon semestre, les attentats du 11 septembre et les premiers signes de reprise économique avaient déjà poussé le prix de l’or noir à la hausse, le faisant glisser de quelque 18 à 25 dollars le baril. Mais, ces dernières semaines, les affrontements qui secouent Israël et la Palestine et le risque de les voir s’étendre à tout le Moyen-Orient, qui recèle les deux tiers des réserves mondiales de pétrole et qui assure un bon tiers de la production totale, ont renforcé cette tendance: depuis décembre 2001, le prix du baril de pétrole a augmenté de près de 60 %, s’affichant désormais autour des 27 à 28 dollars. Du coup, la prime de guerre se chiffre entre 2 et 5 dollars le baril.

Intéressant pour les principaux concernés, certes, mais préoccupant pour les autres. Car une augmentation sensible, et surtout durable, du prix du pétrole est susceptible de raviver le taux d’inflation et de faire obstacle à la reprise économique qui s’annonçait pour la mi-2002. Qui dit produits pétroliers onéreux dit forcément augmentation des coûts pour les entreprises et réduction du pouvoir d’achat pour les particuliers, autant de facteurs qui pourraient freiner la relance d’une économie mondiale encore convalescente. « Dans un mouvement de reprise, il y a souvent des creux, observe Geert Noels, analyste en chef chez Petercam. Mais si l’économie est assez forte, l’élan de la reprise ne devrait pas s’interrompre. »

Voilà qui devrait faire l’affaire des pays producteurs de pétrole, qui savent que leur prospérité dépend étroitement de la reprise économique. En cas de conjoncture favorable, leurs ventes augmentent, alors que, dans le cas contraire, les clients – entreprises, pouvoirs publics et particuliers -, réduisent leur consommation, se tournent vers d’autres sources d’énergies ou partent à la recherche de nouveaux lieux d’exploitation.

« Il n’y aura de répercussions économiques importantes sur la conjoncture que si la hausse des prix pétroliers se prolonge, analyse Lisbeth Van der Craene, économiste à la BBL. Car la hausse actuelle relève essentiellement de la spéculation. » Effectivement. Aujourd’hui, l’offre et la demande s’équilibrent sur le marché pétrolier, autour d’un prix qui n’est pas – encore – alarmant. « Tant qu’il n’y a pas d’inadéquation entre l’offre et la demande, il n’y a pas de raison de modifier les quotas de production », insiste Gaëtan Van de Werve, secrétaire général de la Fédération pétrolière.

Les membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) se réuniront à la fin du mois de juin pour en décider. Sauf si le baril dépasse durant plusieurs mois le seuil de 30 dollars, ils ne devraient pas modifier leurs quotas de production. D’autant que leur marge de manoeuvre est étroite: certains pays exportateurs qui ne font pas partie de l’OPEP, comme la Russie, par exemple, n’hésiteraient pas à reprendre des parts de marché, à l’approche de l’hiver, si le cartel des producteurs réduisait sa production.

Pour imaginer le puzzle pétrolier d’ici à l’été, deux pièces essentielles font aujourd’hui défaut: l’une porte sur une possible intervention des Etats-Unis en Irak, un pays qui vient d’arrêter ses exportations de pétrole (4 % des exportations mondiales) pour trente jours afin de marquer symboliquement son soutien au peuple palestinien; l’autre concerne l’évolution de la situation au Proche-Orient. Dans tous les cas de figure, l’OPEP exclut, pour le moment, d’utiliser l’arme pétrolière dans ce conflit ou de décréter un embargo comparable à celui de 1973. « Comment pouvons-nous soutenir nos frères palestiniens si nous n’avons pas de revenus ? interrogeait récemment un responsable koweïtien. L’arme du pétrole est à double tranchant: à court comme à long terme, elle nous ferait plus de tort qu’aux Etats-Unis. »

Laurence van Ruymbeke

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