jacques de decker © FRÉDÉRIC RAEVENS

À l’est, il y a du nouveau

Jacques De Decker

Tout, évidemment, porte les regards de la francophonie belge vers le grand voisin méridional. C’est même ce qui sépare le plus le sud du nord du pays. La Flandre est moins tournée vers les Pays- Bas que vers l’outre-Manche, voire l’outre-Atlantique, et n’annonce guère les grilles des chaînes francophones belges dans les pages de ses journaux (le contraire se constate aussi), confirmant en cela le jugement du très avisé philosophe britannique John Stuart Mill qui considérait qu’une nation qui n’avait pas de presse commune n’était pas une nation. Mais en Wallonie, rien de tel : les programmes des chaînes françaises y recrutent une audience qui dépasse couramment la simple proportionnelle.

Chez les germanophones, on voit mal comment RTBF et RTL-TVI pourraient sérieusement concurrencer ZDF ou ARD, tendance que la chaîne en langue locale ne suffit pas à endiguer. Résultat : on y est certes mieux informé qu’ailleurs d’un virage notoire en Allemagne qui ne doit pas y réjouir un électorat plutôt conservateur. Par contre, en Wallonie, il y aurait lieu de se féliciter qu’il se produit outre-Rhin un phénomène politique qui a tout pour remonter le moral à ceux qui commençaient à douter, sous le coup des affaires, de la puissance insubmersible du parti dominant.

S’il se passe quelque part en Europe un fait politique révélateur, ce n’est en effet pas en France qu’il faut le chercher, où on a plutôt l’impression qu’un feuilletoniste en verve, relayé par la presse trop heureuse de répercuter ses trouvailles, orchestre jour après jour le récit à rebondissements de la course au pouvoir. En Allemagne, on reste  » gründlich « , c’est-à-dire sérieux et conséquent. On y voit certes une Alternativ für Deutschland (AfD) menée par une tête de file, Frauke Petry, qui oppose à Angela Merkel, dans un style très distinct de Marine Le Pen, sa juvénilité insolente, mais loin de s’imposer (elle stagne autour des 10 %) aussi massivement que sa référence française. La surprise vient plutôt d’un routier blanchi sous le harnais qui a eu la courageuse idée de quitter le perchoir du Parlement européen pour se jeter dans la mêlée.

Aux toutes dernières nouvelles (le sondage du Spiegel en ligne date du dimanche 26 février dernier), Martin Schulz, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ne disposerait pas encore des intentions de vote qui lui permettraient de coiffer au poteau la chancelière. Il n’empêche que sa progression a été, depuis le début assez récent de sa campagne, spectaculaire. Cet ancien libraire, autodidacte et fier de l’être, parfait bilingue allemand – français, est un pragmatique pétri de culture à l’égard de qui Angela Merkel est une adversaire respectueuse. Dame ! Elle lui doit une rentrée dans le rang de son aile droite (CSU), et un ralentissement dans la progression de l’AfD.

De là à ce qu’elle voie se profiler une porte de sortie honorable en septembre, elle qui a montré quelque hésitation à briguer un nouveau mandat, il n’y a qu’un pas que quelques commentateurs n’hésitent pas à lui prêter. Bref, si l’expressionnisme outrancier (esthétique germanique par excellence) règne en France, en Allemagne, on en serait à l’impressionnisme (école française) tout en nuances… C’est peut-être cela, la nouvelle Europe.

Secrétaire perpétuel à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique

jacques de decker

S’il se passe quelque part en Europe un fait politique révélateur, ce n’est pas en France qu’il faut le chercher

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